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« Cuisiner, c’est transformer en joie des produits chargés d’histoire »

  • timotheedulud
  • 15 sept.
  • 3 min de lecture

Premier chef à entrer à l’Académie des beaux-arts, Guy Savoy confie son émotion, revendique la cuisine comme un art à part entière et rappelle combien Paris et la France ont influencé l’évolution gastronomique du monde entier.


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« Lorsqu’on est cuisinier, on rêve de toques, d’étoiles, pas d’un fauteuil sous la coupole. » Guy Savoy en sourit encore. À 70 ans passés, le chef trois étoiles vient d’être élu à l’Académie des beaux-arts, au fauteuil numéro cinq. Une première historique pour un représentant de la gastronomie. « C’est un immense honneur. Eh, oui, une fierté pour moi, mais aussi pour tous les cuisiniers qui donnent une deuxième vie aux produits. »


Deux ans durant, Guy Savoy a mené sa campagne, allant à la rencontre des Académiciens, rédigeant une lettre à chacun, expliquant son cheminement, sa passion. « Certains étaient déjà convaincus que la cuisine avait sa place parmi les arts. D’autres n’y avaient jamais pensé, mais s’en sont trouvés interpellés. » Un long processus, avec ses joies, ses incertitudes et, à l’annonce de l’élection, une douleur dans le dos de trente minutes, puis un flot de souvenirs de jeunesse, de professeurs sceptiques, de cette psychologue qui me disait que je n’étais pas fait pour un métier manuel... »


La reconnaissance académique de la cuisine ? Une évidence pour lui. « C’est un art qui mobilise tous les sens, qui transforme, dans l’instant, un produit brut en émotion. Il faut des mois pour élever une volaille de Bresse. Nous, en cuisine, en quelques minutes, nous lui donnons une deuxième vie, faite de plaisir. » Sur le mur de son restaurant, quai de Conti, une phrase résume sa philosophie : « La cuisine est l’art de transformer instantanément en joie des produits chargés d’histoire. »


Guy Savoy revendique une approche « concrète et sensorielle » de son métier : « Quand je vois une carotte, je l’imagine dans son champ ; un homard, dans son fond marin. C’est cette proximité avec la nature, avec ceux qui la cultivent, l’élèvent, la pêchent, qui fonde notre art. » Fidèle à l’Hôtel de la Monnaie, dans un décor où les œuvres de la collection Pinault dialoguent avec ses assiettes, il défend une vision globale de la gastronomie : « Le cadre, le service, l’atmosphère... Tout participe de l’expérience. C’est une recette à plusieurs ingrédients. »


Et sur la question du durable, le chef est clair : « On nous parle de circuits courts, d’écologie, mais j’ai grandi avec ça. Mon père était jardinier. On arrachait les radis un quart d’heure avant de les manger. Rien n’était jeté. Ce que certains découvrent aujourd’hui était mon quotidien. »


Loin de toute posture, il préfère parler d’« authenticité » : « Mon éleveur de volailles de Bresse en est à la troisième génération. Il nourrit ses bêtes trois fois par jour pour garantir la fraîcheur. Il le fait comme ses grands-parents. C’est cela, le véritable respect du vivant. »


« La France a été un phare »


Et Paris dans tout cela ? « Paris est une vitrine. Et un observatoire. Mon restaurant, c’est une université. J’apprends tous les jours : des fournisseurs, des clients, des collaborateurs. » Depuis la fin de la crise sanitaire, il observe une évolution marquante : « La clientèle s’est rajeunie, les nationalités se sont multipliées. Aujourd’hui, je reçois des convives du monde entier. La cuisine a plus évolué ces trente dernières années que dans les deux millénaires précédents, affirme-t-il. La France a été un phare. Beaucoup de chefs étrangers sont venus apprendre chez nous. Et, en rentrant, ils ont valorisé leur propre cuisine. »

De Las Vegas à Mexico, de Tokyo à Oslo, il voit se diffuser l’idée que « s’attabler dans un restaurant est devenu un acte culturel ». Et le chef de rappeler : « Dans la gastronomie, j’inclus les vins, les fromages, la charcuterie, la viticulture. Tout ce qui fait notre paysage alimentaire. Une diversité exceptionnelle, dans une qualité exceptionnelle. »

Membre actif de l’Académie, Guy Savoy participe chaque mercredi à ses réunions. « On échange avec des architectes, des réalisateurs, des musiciens. On parle de création, mais aussi de budgets amputés. La culture est trop souvent sacrifiée. » Et s’émerveille-t-il : « Cela fait des décennies que je nourris des gens ; là, c’est moi qui suis nourri. »

Avec la même passion, intacte, que celle de ses débuts. « La retraite n’existe pas dans mon dictionnaire », glisse-t-il dans un sourire. Une manière de rappeler que certains feux, une fois allumés, ne s’éteignent jamais.


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