Ils ont choisi de s’implanter en Île-de-France et, parfois même, d’y réinvestir. Venus d’univers très différents, quatre grands investisseurs étrangers expliquent les raisons qui ont présidé à leur ancrage dans la région capitale.
« Nous pouvons collaborer avec des doctorants de classe internationale »
CONOR O’RIAIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’ENTREPRISE IRLANDAISE ECOCEM MATÉRIAUX
Ecocem est une entreprise irlandaise spécialiste du ciment bas carbone. Et pourtant, c’est en Île-de-France que vous avez décidé d’ouvrir un centre de R&D. Pour quelles raisons ?
Le béton est le matériau de construction le plus utilisé dans le monde, mais pour le fabriquer, il faut du ciment. Or, à elle seule, la fabrication de ce dernier représente 7 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, plus que tous les avions, camions et bateaux de la planète réunis ! Nous avons donc décidé d’utiliser un co-produit de l’industrie sidérurgique : le laitier de haut fourneau. Cela réduit jusqu’à 80 % les émissions de GES du ciment tout en augmentant la performance du produit ! Toutefois, même en utilisant tout le laitier produit dans le monde, il ne serait possible que de décarboner 10 % du ciment mondial. Il fallait donc trouver d’autres solutions.
Et c’est là qu’intervient l’Île-de-France ?
Effectivement. Nous avons initié des recherches avec l’INSA Toulouse et l’ENS Paris-Saclay. Cela nous permet de travailler avec des doctorants de classe internationale. Ces collaborations sont si fructueuses que nous avons, en 2021, créé un centre de R&D à Champlan (Essonne). Mais il arrive déjà à capacité et nous allons, début 2025, le déménager dans des locaux quatre fois plus grands, à Chilly-Mazarin (Essonne), augmenter nos effectifs et investir, en tout, 8,5 millions d’euros.
« Aucun de nos projets d’investissement n’aurait vu le jour sans le Grand Paris Express »
STEIJN RIBBENS, CIO (CHIEF INVESTMENT OFFICER) DE KADANS SCIENCE PARTNER, SPÉCIALISTE NÉERLANDAIS DE L’IMMOBILIER DÉDIÉ AUX SCIENCES DE LA VIE (DÉSORMAIS INTÉGRÉ AU GROUPE AXA IM)
Vous avez récemment annoncé votre troisième investissement en trois ans en Île-de-France. Pourquoi cet intérêt pour la Région Capitale ?
Nous sommes un acteur de l’immobilier de niche et investissons dans des écosystèmes scientifiques où existent une forte création de valeur. Typiquement à proximité d’universités et de centres de recherche où nous hébergeons des spin-off issues des laboratoires et leur proposons des espaces techniques spécialisés. Or l’Île-de- France est un espace à haute intensité scientifique ! En outre, en 2023, les investissements de capital-risque dans les deeptech ont augmenté en France, alors que le marché était morose partout ailleurs ! Enfin, la puissance publique française soutient la dynamique des écosystèmes. Notons aussi l’importance des grands projets : aucun de nos trois projets actuels d’investissement n’au- rait vu le jour sans la création du Grand Paris Express.
Quels sont vos projets franciliens ?
Le premier est un bâtiment de 25 000 mètres carrés en cours de construction sur le quartier Campus Grand Parc à Villejuif (Val-de-Marne), aménagé par Sadev 94. Nous y travaillerons en partenariat avec le PSCC (Paris-Saclay Cancer Campus) et accueillerons en priorité des structures dédiées à l’oncologie. Nous avons également annoncé deux investissements à Paris-Saclay : le premier, de 15 000 mètres carrés, dans le quartier de Moulon, à côté de l’ENS Paris-Saclay ; le second, de 9 000 mètres carrés, dans la ZAC de l’École polytechnique, sur une parcelle proche du lycée international. Nous nous ouvrirons tant à la medtech (technologies médicales) qu’aux matériaux, à l’énergie ou l’alimentation. Ces bâtiments seront prêts en 2026 et 2027.
« Le Brexit n’est pas la seule explication à notre changement d’échelle »
EMMANUEL GOLDSTEIN, DG DE MORGAN STANLEY FRANCE
Les activités parisiennes de Morgan Stanley sont, depuis 2021, en pleine croissance.Quelle est l’ampleur de cette dernière ?
Le bureau de Paris ne comptait, en 2021, que 150 salariés. Mais, depuis, nous avons considérablement élargi nos activités et nos besoins. Désormais, nous avons trois grands piliers : la banque d’affaires, les métiers liés au trading sur actions, obligations, devises, matières premières et la gestion d’actifs. De Paris, nous couvrons d’autres capitales en Europe continentale, notamment pour nos activités sur les bons du trésor, les devises et certaines matières premières. Nous avons également ouvert, en 2022, un centre de R&D, qui compte près de 100 personnes et devrait atteindre les 130 collaborateurs à terme. Ce centre travaille sur le développement des algorithmes de trading notamment. Il a une portée mondiale et couvre toutes les classes d’actifs. Pour l’ensemble de ses activités, Morgan Stanley compte aujourd’hui 400 personnes à Paris et nous en visons entre 500 et 550 d’ici à 2025.
Est-ce une conséquence du Brexit ?
Le Brexit a un peu rebattu les cartes, puisque certaines activités financières ne peuvent être exercées que depuis la zone euro. C’est pourquoi nous avons déplacé les fonctions correspondantes pour partie à Franc- fort et pour partie à Paris. Mais ce n’est pas la seule explication. L’Île-de-France est également un vivier de talents dont certains, naguère, s’expatriaient pour trouver un travail à leur mesure. Ce n’est plus toujours le cas. Le Covid a lui aussi contribué à rebattre les cartes. En outre, l’élargissement de nos activités fait qu’il est dorénavant possible de travailler à Paris et de continuer à évoluer au sein du groupe. Ainsi, une partie de notre centre de R&D est dirigée par une personne, formée dans une grande école française, qui exerçait des fonctions de direction à New York. Et ce n’est pas le seul exemple. Enfin, Paris est une ville-monde et, partant, un endroit très attractif pour les meilleurs talents.
« Un data center est une sorte d’aéroport, et Paris est le plus dense de France »
RÉGIS CASTAGNÉ, DIRECTEUR GÉNÉRAL D’EQUINIX FRANCE, CONSTRUCTEUR ET GESTIONNAIRE DE DATA CENTERS
Vous avez annoncé, à l’occasion de Choose France, de nouveaux investissements en Île-de-France alors que vous y compterez bientôt, déjà, 11 data centers. Quels atouts a selon vous la région parisienne ?
Nous avons investi en région parisienne 750 millions d’euros depuis 2022 et allons investir 630 millions d’euros supplémentaires d’ici à 5 ans. Car Paris fait partie, avec Londres, Francfort et Amsterdam, des quatre grandes capitales européennes les plus actives en matière de data centers. Nous constatons notam- ment en Île-de-France un fort dynamisme autour des startups et de l’intelligence artificielle.
Mais pourquoi construire des centres de données en Île-de-France et non dans des endroits où le foncier est meilleur marché ?
Notre marché est celui du détail : nous servons un grand nombre de clients, environ 1 400. Il est important, pour assurer une bonne connectivité, d’être à leur proximité immédiate. Le centre de données est en effet une sorte d’aéroport où se côtoient tous les écosystèmes, et Paris est le plus dense de France. Nous avons aussi besoin d’un bassin d’emplois important car, même si l’on affirme souvent que notre métier nécessite peu de salariés, nous en comptons actuellement environ 400. Enfin, notre responsabilité sociétale nous incite à nous établir dans des endroits où nous pouvons faire bénéficier d’autres acteurs de la chaleur fatale que nous dégageons, ce qui exclut de s’implanter sur un site isolé.
En quoi le Grand Paris se distingue-t-il des autres capitales européennes ?
La France – et tout particulièrement l’Île-de-France – est desservie par des réseaux de télécommunications de très bonne qualité. Nous pouvons également béné- ficier du courant le moins carboné d’Europe avec la Suède : l’électricité y est sept fois moins carbonée qu’en Grande-Bretagne et onze fois moins qu’en Allemagne. Enfin, nous profitons d’une très bonne situation géographique, avec des temps de latence équivalents, qu’il s’agisse de liaisons avec Madrid, Milan, Amsterdam, Londres ou Francfort.
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