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ON N'A PLUS L'AIR D'UN PLOUC NULLE PART : JEAN VIARD


ALORS QUE LA STANDARDISATION DE LA SOCIÉTÉ A RÉDUIT L’ÉCART CULTUREL ENTRE PARIS ET LA PROVINCE, ET QUE LE NUMÉRIQUE MAINTIENT LE LIEN ENTRE LES GENS OÙ QU’ILS SOIENT, QUITTER PARIS POUR S’INSTALLER DANS UNE MÉTROPOLE RÉGIONALE EST DE PLUS EN PLUS SÉDUISANT. SI L’ÎLE-DE-FRANCE TIRE NÉANMOINS SON ÉPINGLE DU JEU ET DEVIENT « LE NEW YORK DE L’EUROPE », SELON LE SOCIOLOGUE JEAN VIARD, LA RÉGION CAPITALE DOIT RÉINTERROGER SON MODÈLE POUR RÉSOUDRE SES PROBLÈMES INTRINSÈQUES.

PROPOS RECUEILLIS PAR FABIENNE PROUX



« L’IDÉE QU’UN MAIRE DE PARIS SOIT LE MAIRE DE CE TOUT PETIT CENTRE DE 2 MILLIONS D’HABITANTS DANS UNE CONURBATION DE 11 MILLIONS D’HABITANTS, AVEC EN PLUS UNE POPULATION BCBG ET ÂGÉE, EST TOTALEMENT ABSURDE. »


Quelles sont les conséquences de la pandémie sur les relations Paris/province ?

La pandémie a en effet changé un certain nombre de choses. Une partie de la population a compris qu’avoir un pied à Paris est indispensable, mais y habiter n’est pas utile. Nous allons vers un modèle de villes plus secondaires. Au début de la pandémie, environ le quart des Parisiens ont quitté la Capitale. Si une partie est revenue, une autre passe désormais davantage de temps dans sa résidence secondaire grâce au télétravail. Mais ce phénomène qui existait déjà s’est accentué puisque Paris perdait 3 000 enfants à chaque rentrée scolaire avant la pandémie et en a perdu 6 000 en septembre 2021. Si les jeunes ménages quittent Paris lorsqu’ils ont leur premier enfant, c’est parce qu’ils savent qu’ils vivront de la même manière à Nantes, Bordeaux, Marseille ou Nice. On n’a plus l’air d’un plouc nulle part. Cela me semble le phénomène le plus intéressant, d’autant plus qu’il progresse.


Pour quelles raisons ?

Les Français dans leur vision territoriale jacobine, hiérarchique, arrogante ont du mal à voir que les grandes métropoles sont devenues des hubs sur la toile. En 15 ans, depuis la création de Twitter, on a créé une deuxième peau du monde, celle des contacts, des échanges, du lien, sur laquelle on circule à l’échelle planétaire. La pandémie a accéléré cette tension de la toile, c’est là que la jeunesse consomme de la culture. Que devient une métropole ? Le lieu où la toile croise les lieux de pouvoir : l’université, le politique, le financier et les entreprises. Il y a sur la planète 200 hubs où la toile est accrochée, à l’image d’une tente suspendue par des poteaux. C’est cela qui restructure les liens avec les territoires.


Est-ce le cas de la métropole parisienne ?

Je parlerais plutôt de métropole francilienne dont la particularité est d’être la première conurbation mondiale en matière scientifique qui monte en puissance en Europe. L’Île-de-France devient le New York de l’Europe avec le même ordre de fonctions, auxquelles il faut ajouter toutefois le poids politique de l’Etat centralisé. Même s’il l’est de moins en moins, beaucoup de hauts fonctionnaires continuent d’habiter à Paris. Ce problème français de reproduction des élites sociales de manière endogamique pose un problème démocratique absolument majeur. Donc, coexistent à la fois la vieille capitale française qui s’est enkystée de fonctions fonctionnaires y compris avec la décentralisation et la grande métropole de l’Europe scientifique, artistique, touristique qui monte.


La plupart des pays ont deux capitales,une politique et une économique. Est-ce une faiblesse de la France d’avoir une seule capitale qui concentre tous les pouvoirs ?

Probablement, mais il me semble que la faiblesse de la France est d’avoir une capitale qui n’est pas un port, car le commerce est maritime. Les pays puissants du monde ont des capitales portuaires. Paris tente désespérément de se rattacher à Rouen et de faire un canal qui rejoint les ports du Nord. Nous avons bien Marseille, mais son port a été tellement brimé par l’État central qu’il n’a pas pris sa pleine puissance. Toutefois, Marseille reprend de l’envergure notamment depuis qu’Emmanuel Macron a lancé Marseille en grand. La ville est agréable, festive, au bord de la Méditerranée et pas normatée par les élites parisiennes. Marseille en grand est pour moi un laboratoire de Paris en grand.


Comment cela ?

Avec Marseille en grand, le président de la République a très habilement créé le laboratoire de la transformation d’une mégapole où régnait un grand bazar et il s’est trouvé face à deux élus locaux affaiblis. Aucun des deux n’étant vraiment légitime, l’État a pu reprendre la main. La logique serait qu’il s’attaque à Paris en grand pour les mêmes raisons : les deux principales élues locales sont affaiblies depuis leur échec à l’élection présidentielle, un ensemble de 11 millions d’habitants dans une crise foncière épouvantable avec des mairies de riches et de pauvres, une absurdité d’aménagement du territoire avec des endroits vides où on ne construit pas et d’autres où on empile les gens. Si Emmanuel Macron avait une vision stratégique du Grand Paris, c’est maintenant qu’il doit le faire.


Quelle est votre vision d’un Paris en grand ?

Comme à Londres, nous aurions dû fusionner depuis longtemps Paris et l’Île-de-France. L’idée qu’un maire de Paris soit le maire de ce tout petit centre de 2 millions d’habitants dans une conurbation de 11 millions d’habitants, avec en plus une population BCBG et âgée, est totalement absurde. L’élément central est de supprimer la mairie de Paris qui ne sert à rien et donner du pouvoir municipal complet aux mairies d’arrondissement. Il ne s’agit pas non plus de tout casser, mais de garder le maillage territorial actuel avec des entités de 600 000 à 800 000 habitants. Il faut faire monter le pouvoir au niveau des intercommunalités et la gestion du foncier au niveau de la métropole régionale de façon à ce qu’il y ait une politique foncière métropolitaine, car le cœur de la crise sociale française se trouve autour de Paris et de Marseille, parce qu’on ne maîtrise pas le foncier.


Pourquoi liez-vous maîtrise foncière et crise sociale ?

Parce que cela permet une politique du logement et une stratégie résidentielle qui soit habitable. Il n’y a pas de pouvoir foncier rationnel sur l’ensemble de l’Île-de-France et, du coup, on le grignote par petits bouts. À l’intérieur de l’Île-de-France, il faut densifier les petites communes et peut-être en créer de nouvelles, car quand un grand ensemble pose problème, il faut lui rajouter les pouvoirs d’une commune. En densifiant, on peut développer les transports publics par l’apport d’une nouvelle population. Le Grand Paris Express imaginé par Nicolas Sarkozy sera l’outil technique de la construction de cette métropole régionale.


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