Lors d’un dîner débat de l’association Acteurs du Grand Paris, qui s’est tenu à l’Aéro-Club de France le 11 mai 2023, Nicolas Bauquet et Alexandre Labasse, respectivement directeur général de l’Institut Paris Region et DIRECTEUR GÉNÉRAL de l’Atelier parisien d’urbanisme, ont livré leurs regards croisés sur l’Île-de-France et le Grand Paris. L’occasion de détailler les évolutions récentes, démographiques notamment, et les bouleversements provoqués par la pandémie sur le travail et les mobilités.

Hélène El Aïba, Nicolas Bauquet, Ludovic Raës, Fadia Karam, Thomas Hantz, Alexandre Labasse et Pierre Trebosc.
Expertise d’intérêt général
Nicolas Bauquet : « Un tiers de confiance au service de tous les élus et acteurs de la ville. »
« L’Atelier parisien d’urbanisme et l’Institut Paris Region produisent ce que j’appellerais de l’expertise d’intérêt général, dans un contexte dans lequel depuis des années, hélas, l’État a déconstruit ses outils natio-naux de connaissance et d’analyse. L’Institut Paris Region, c’est la plus grande et la plus ancienne agence d’urbanisme française, avec 220 collaborateurs et de nombreuses institutions partenaires, et en particulier le soutien constant de la Région Île-de-France dans cette production de savoirs. Tout comme l’Apur, avec lequel nous partageons le même modèle, nous sommes un tiers de confiance au service de tous les élus et acteurs de la ville. Au cours des derniers mois, nous avons ainsi travaillé aux côtés de Valérie Pécresse (présidente de la Région Île-de-France, ndlr) et de Jean-Philippe Dugoin-Clément (vice-président du conseil régional d’Île-de-France, ndlr) pour produire le Schéma directeur de la Région Île-de-France environnemental (Sdrif-e), et c’était passionnant. »
Alexandre Labasse : « Offrir une vision stratégique à nos partenaires. »
« Je partage avec Nicolas Bauquet la conviction du rôle fondamental de nos structures, qui étudient, analysent les évolutions urbaines et portent une vision prospective dans un moment où les modèles urbains sont questionnés avec une différence fondamentale de périmètre. L’Institut Paris Region travaille sur un territoire de presque 1 300 communes, nous, à l’échelle d’une métropole de 131 communes. Notre ambition est de porter notre regard à cette échelle du Grand Paris de ces 7 millions d’habitants, des grands paysages à l’échelle plus fine du quartier, de la rue, de l’immeuble, afin d’offrir une attention fine à chacun de nos partenaires. En accompagnant tant l’élaboration de documents de planification, tels que le Schéma de cohérence territoriale (SCoT), le Plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement (PMHH), le Plan local d’urbanisme (PLU) bioclimatique de Paris ou les PLUi de certains territoires, que des enjeux locaux de transformations de voirie, des tissus bâtis ou de revégétalisation. »
Trois valeurs cardinales : partenarial, transversal, créateur de données
Nicolas Bauquet : « Une expertise partenariale, un lieu de réflexion collective et transversale. »
« Nous sommes animés par trois valeurs cardinales. Celle de représenter une expertise partenariale et d’être un lieu de réflexion collective. Deuxième point, nous sommes un lieu de réflexion transversale. On ne peut, par exemple, anticiper les problématiques de transport si l’on n’est pas capable de comprendre ce qu’il se passe sur la question du télétravail. Enfin, nos institutions sont des lieux où l’on explore, où l’on exploite et où l’on crée de la donnée, en inventant de nouveaux modes de faire. Nous venons, par exemple, de mettre en place un consortium d’une douzaine de partenaires afin de créer les données nécessaires pour comprendre les évolutions récentes des transports en Île-de-France. Nous avons équipé 3 000 Franciliens d’un boîtier électronique, pendant une semaine, pour suivre leurs déplacements. Aujourd’hui, à l’issue du Covid, on ne sait pas réellement qui se déplace, pourquoi. De même, nous essayons de suivre, avec le Rectorat, l’évolution des effectifs scolaires dans toute l’Île-de-France. »
Alexandre Labasse : « L’Apur est l’atelier de la réparation. »
« Le plus important, dans notre nom, c’est le terme d’atelier. Il définit exactement ce que nous sommes. Alors que nous traversons une crise à la fois climatique, démographique, économique et sociale, l’Atelier parisien d’urbanisme est le lieu du travail en commun et celui de la réparation. Cela se traduit dans un modèle singulier de gouvernance partagée autour de la Ville de Paris, de la Métropole, de l’État et d’une vingtaine de partenaires, avec qui nous élaborons chaque année notre programme de travail. Ces institutions qui nous financent sont aussi nos administrateurs. Autrement dit, nos études sont proposées, votées par des représentants des grands syndicats techniques métropolitains, des entités publiques ou des collectivités. Cela se traduit dans un éventail de missions très large, porté par les spécialistes de l’Atelier sur des sujets très spécifiques et des études plus généralistes, avec toujours l’ambition de soulever dans le champ urbain les grands enjeux de société. »
Signaux faibles et évolutions fortes
Nicolas Bauquet :
« Un risque d’aggravation des fractures. »
« Nous étudions un modèle francilien qui envoie une série de signaux faibles, qui disent que des évolutions extrêmement puissantes sont à l’œuvre, notamment avec l’essor du télétravail, évolutions qui sont en train de complètement transformer les fondamentaux de ce modèle francilien. Avec, en filigrane, un risque de perdre de l’attractivité et des forces vives. Nous avons travaillé sur le Sdrif-e avec ce risque en tête. Celui d’un modèle à la fois démographique, économique, social qui se gripperait, avec un risque d’aggravation des fractures. »
Alexandre Labasse :
« Vieillissement de la population et mutation des mobilités. »
« En ce moment, nous nous intéressons notamment aux dynamiques démographiques, derrière les grandes tendances de baisse de la population parisienne et de ralentissement de la hausse de la population métropolitaine. Ces analyses nous guident dans les enjeux d’aménagement d’habitat ou de mobilité, que ce soit la hausse du nombre de seniors ou la difficulté des jeunes pour s’installer au cœur de la métropole. Ces évolutions croisent l’accélération de la mutation des mobilités post-Covid que nous analysons avec la baisse des immatriculations automobiles, qui apparaît dans quasiment l’ensemble des communes du Grand Paris, corrélée à une très forte augmentation de l’usage du vélo (x 5). En parallèle, nous étudions l’émergence d’initiatives vertueuses, de signaux faibles en matière d’immobilier temporaire de santé, comme l’académie populaire de la santé en Seine-Saint-Denis, ou de lieux culturels, avec le dessin d’une nouvelle géographie métropolitaine symbolisée par l’ouverture d’Artagon à Pantin ou du Hangar Y à Meudon. »
Logement
Nicolas Bauquet :
« La Région est vertueuse dans sa capacité à maîtriser sa consommation d’espaces naturels. »
« Sur la question du logement, nos études ont montré la prégnance de la suroccupation en Île-de-France, qui concerne 1 personne sur 5, contre 1 personne sur 10 en France. Nous avons travaillé également sur la question de la rénovation énergétique de l’habitat, démontrant que 45 % des logements aujourd’hui, en Île-de-France, sont susceptibles de sortir du marché locatif du fait des régulations récentes, entraînant un risque d’aggravation de la crise du logement. Parallè-lement, nous avons réalisé récemment une étude rétrospective sur 20 ans de construction en Île-de-France, sur ce que l’on appelle la région bâtisseuse. Elle montre que l’on est parvenu à atteindre, au cours des années passées, le rythme de construction de 70 000 logements par an et que l’Île-de-France est d’ores et déjà très vertueuse dans sa capacité à maîtriser sa consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers, pour construire du logement. Dans un contexte où la suppression de la taxe d’habitation puis de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) coupe le lien fiscal entre les nouvelles implantations, d’habitants ou d’entreprises, et donc l’acte de construire, et les ressources propres des communes. »
Alexandre Labasse :
« Tout le monde souhaite vivre dans une ville mixte. »
Le logement est l’outil dont disposent les pouvoirs publics pour créer de la mixité, pour éviter la ségrégation, en permettant l’arrivée de nouveaux ménages, en répondant aux demandeurs de logement social et en assurant une diversité de l’offre. Cette politique doit aujourd’hui tenir compte, d’une part, des évolutions que je citais précédemment, en proposant des logements à l’intention des étudiants, des jeunes actifs, mais aussi des seniors pour qu’ils puissent rester à domicile et, d’autre part, de la révolution en cours des transports, à l’image de celle des transports en commun, avec plus de 160 gares de métro et tramway créées dans la métropole entre 2020 et 2030. »
Nicolas Bauquet
« J’ai pris la tête de l’Institut Paris Region le 1er juillet 2022. Contrairement à mes prédécesseurs, je ne suis pas urbaniste mais historien. J’ai mené un parcours à l’international, aux États-Unis, à Rome et Taïwan, sur le réseau diplomatique, et j’ai été trois années durant directeur des études de l’Institut Montaigne. En septembre 2021, je suis devenu conseiller à la prospective au cabinet de la présidente de la Région Île-de-France. »
Alexandre Labasse
« Je suis directeur général de l’Apur depuis novembre 2022 et j’ai poursuivi, jusqu’en février dernier, en parallèle, mes précédentes fonctions de directeur général du Pavillon de l’Arsenal. C’est là que j’ai notamment développé le laboratoire « Faire », premier accélérateur dédié aux architectes, designers, paysagistes, et été commissaire de plusieurs expositions, dont Conserver Adapter Transmettre ou La beauté d’une ville. Architecte DPLG, je suis également membre de l’Académie d’architecture, président de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris Versailles, membre du conseil d’administration de l’association Bâtiment bas carbone et de la Commission du Vieux Paris. »
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