top of page

L’AMENAGEMENT EN PLEINE REINVENTION

Mise en œuvre du zéro artificialisation nette des sols, le fameux ZAN, révision du schéma directeur de la Région Île-de-Franc environnemental (Sdrif-e) et du plan local d’urbanisme (PLU) de la Ville de Paris… L’aménagement urbain du Grand Paris change totalement de paradigme pour adapter le territoire au dérèglement climatique et aux nouvelles aspirations des habitants.

Par Fabienne Proux



La physionomie du Grand Paris va sensiblement se métamorphoser au cours de la prochaine décennie. Une évolution dictée tant par la mise en œuvre de réglementations exigeantes pour réussir l’indispensable adaptation du territoire au dérèglement climatique et atteindre la neutralité carbone en 2050 que par l’appétence des Franciliens pour des modes de vie plus doux et en phase avec la nature.

C’est dans ce contexte que la Région et la Ville de Paris révisent leurs documents d’urbanisme qui doivent être opérationnels fin 2024. En effet, le nouveau schéma directeur de la Région Île-de-France environnemental (Sdrif-e) s’inscrit dans la trajectoire du zéro artificialisation nette des sols (ZAN). Il vise à diviser par trois la consommation foncière, à 560 ha par an, là où le précédent Sdrif autorisait 1 315 ha d’artificialisation chaque année.

À Paris, les nouvelles règles prévues par le PLU bioclimatique vont répondre à l’urgence d’adapter la ville, pour y vivre, aux changements de température et à celle de pouvoir se loger à des prix abordables. Les objectifs de l’exécutif sont, entre autres, de favoriser la mixité fonctionnelle, réduire la place du burea au profit du logement, surtout social, protéger les arbres et les espaces verts, et d’imposer les règles de surcompensation... Si Paris a inventé la « ville du quart d’heure », le Sdrif-e s’inscrit dans la perspective de la « région des 20 minutes » qui vise à favoriser la mixité fonctionnelle pour réduire les distances domicile-travail et les trajets pendulaires qui l’accompagnent, et garantir à chaque Francilien l’accès à un parc en moins de dix minutes.


Vers un « aménagement sobre, résilient et inclusif »

L’aménagement urbain se trouve donc face à un nouveau paradigme. Exit l’étalement urbain, la mono-fonctionnalité des quartiers, les macro-lots, la bétonnisation créant des îlots de chaleur pour laisser la place au recyclage urbain, à la mixité sociale, fonctionnelle et générationnelle, à la construction bas carbone et la renaturation de la ville. C’est tout le métier d’aménageur qui doit donc se réinventer pour aller « dans le sens d’un aménagement sobre, résilient et inclusif », résume Jean-Philippe Dugoin-Clément. « Il faut désormais créer des lieux de vie globale, qui satisfont les besoins de logements, de services, d’équipements, d’emplois, d’espaces naturels et de loisirs », détaille le président de Grand Paris Aménagement (GPA). « L’aménagement urbain doit donc évoluer pour concevoir une ville vivable et avenante », renchérit Christophe Richard, directeur général de Sadev 94, soit « traiter la diversité, les espaces publics et extérieurs, végétaliser pour aller vers des systèmes rafraîchis. »


Si le constat et les objectifs font bien évidemment consensus, reste à trouver la ou les bonnes méthodes pour les atteindre.

Emmanuel Desmaizières, directeur d’Icade Promotion, en convient : « Le sujet majeur qui fait évoluer l’aménagement est la transition écologique. » Ce qui implique pour les aménageurs d’être tout à la fois innovants et agiles. Mais aussi d’apprendre à faire des projets plus petits, « de passer du grand foncier à l’intervention à l’adresse », explique Soraya Hamrioui, directrice générale adjointe à l’aménagement chez Grand Paris Aménagement, « de faire avec l’existant, de fonctionner à la bonne échelle », soit celle de la ville du quart d’heure.


Les enjeux les plus importants de transformation se trouvent, selon Emmanuel Desmaizières, dans le Grand Paris : « Quand on croise les enjeux d’économie du territoire avec le ZAN et la lutte contre l’étalement urbain, et ceux de l’économie de la matière avec la construction bas carbone, c’est dans les grandes opérations structurantes du Grand Paris que l’on est le plus en avance. » Il cite, entre autres, le Village olympique à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) pour lequel le promoteur et aménageur urbain réalise en partenariat avec la Caisse des dépôts (sa maison mère) et CDC Habitat un macro-lot de plus de 50 000 m2. Celui-ci se présente comme « emblématique de la transformation du territoire », proposant un parcours résidentiel complet associé à une grande diversité d’activités, mais aussi « la vitrine du savoir-faire français en matière d’ambitions environnementales ».


Renchérissement des prix des friches

Mais outre la construction bas carbone, refaire la ville sur elle-même, pour ne plus urbaniser de nouveaux sols comme l’impose le ZAN, devient aussi la règle. « Avec le ZAN, nous allons en effet être confrontés à un phénomène de repli sur l’espace disponible, qui risque d’entraîner un renchérissement des prix des friches en cœur de ville et un impératif d’augmentation de la densité – loin d’être acceptée par les populations », convient de son côté Nicolas Gravit, directeur général d’Eiffage Aménagement, rappelant qu’il reste malgré tout « possible de travailler parfois à une extension urbaine régulée et positive, qui intègre impérativement les besoins de mobilité et d’équipements publics ».

Cependant, le problème du recyclage urbain, appelé à monter en puissance (de 12 % en 2022 à 20 % en 2025 comme le prévoit l’EPF Île-de-France), réside dans les surcoûts qu’il engendre pour, d’une part, acquérir ces fonciers plus coûteux et, d’autre part, les dépolluer et, dans certains cas, financer des déconstructions partielles ou totales. « Il est vrai que nous faisons face à des obligations réglementaires et des contraintes qui font augmenter le coût de fabrication de l’aménagement », souligne Nicolas Gravit. Il convient donc de trouver aussi de nouveaux modèles économiques, mais également de territorialiser le ZAN qui ne peut, d’après Christophe Richard, avoir les mêmes objectifs en secteurs denses ou moins denses : « Je doute de la pertinence de l’approche du ZAN dans les secteurs d’intervention très urbanisés de Sadev 94 », indique-t-il, invitant à « s’intéresser aux raisons pour lesquelles on souhaite désartificialiser », soit « créer des îlots de fraîcheur, réimperméabiliser les sols et assurer la biodiversité ».


Atteindre la « densité heureuse »

Dès lors, bien que récurrente, la question du rapport à la densité se pose encore davantage aujourd’hui dans le Grand Paris. « Si on veut libérer des sols, réduire le temps de transport, maintenir des activités en ville, nous n’avons pas d’autre choix que de construire dense », assure Christophe Richard. Reste à donner la perspective que la ville dense peut être agréable, ce qui suppose de s’intéresser à l’implantation des bâtiments, à l’occupation des pieds d’immeubles pour qu’ils soient polyvalents, à la création d’espaces publics dynamiques, à l’instar de ce que réalise Sadev 94, avec UapS, sur l’opération Ivry Confluences à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).


Mais pour Emmanuel Desmaizières, « le ZAN est une contrainte que l’on peut transformer en opportunité ». Certes, l’aménagement en est plus compliqué et requiert une expertise plus forte, tant en interne qu’en recourant à des ressources extérieures, tels des écologues, mais le directeur d’Icade Promotion est convaincu qu’il faut « arriver à produire des quartiers mixtes avec une densité heureuse qui permet à la fois de traiter le besoin en nombre et en qualité de vie, et la place de la nature très importante y compris à l’échelle de l’immeuble », tout en veillant à ce que « le geste architectural rende aussi la ville attractive d’un point de vue esthétique ». Reste à en convaincre l’ensemble des parties prenantes, des élus à leurs administrés.

Comments


bottom of page