Baignade dans la Seine, le symbole de la reconquête d’un fleuve vivant
- timotheedulud
- 15 sept.
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Dernière mise à jour : 15 sept.
Jacques Chirac en avait fait une promesse en 1988. Beaucoup l’avaient rangée au rayon des utopies municipales et de la com’ facile, voire de la provocation ou de la blague. Une idée devenue réalité à l’été 2025 : la Ville de Paris ouvre trois sites officiels de baignade — au Bras Marie, à Grenelle et à Bercy — tandis qu’une trentaine d’autres sont en préparation dans le territoire régional et métropolitain, en particulier dans la Marne, en amont de Paris.
Par Vianney Delourme.

La baignade en Seine n’est donc plus une chimère. C’est un fait, un droit retrouvé, diront certains, et sans doute une transformation collective de notre rapport au territoire. Cette transformation, accélérée par les Jeux olympiques, dépasse largement le symbole. La baignade inaugurale de juillet 2024, réunissant la maire de Paris, le préfet de région et le président de Paris 2024, avait frappé les esprits dans le monde entier.
C’est aussi l’aboutissement d’un travail de fond, invisible et titanesque, mené de concert par tous les échelons et acteurs territoriaux : le bassin de rétention d’Austerlitz (46 000 m³), les diagnostics de branchements, la désinfection des eaux usées, la modernisation des stations d’épuration par le SIAAP, l’adaptation des navires-logements… Derrière chaque plongeon, il y a une décennie ou plus d’ingénierie, de financements publics, de compromis politiques et de mobilisations citoyennes.
Les syndicats de gestion des rivières — la Bièvre, le Croult, le Sausset, le Petit Rosne, l’Yvette… — contribuent aussi indirectement à la baignade, en redonnant vie aux affluents de la Seine. C’est ce travail patient, poursuivi malgré les alternances politiques, qui permet aujourd’hui d’imaginer un fleuve accueillant et sain.

La baignade, une promesse de ville vivable
Alors, effet de mode post-JO ou véritable bascule urbaine ? La question divise encore. La Seine n’est pas devenue comme par magie un décor de carte postale : elle reste un fleuve industriel, turbulent, imprévisible. Mais elle est redevenue vivante. Les bactéries reculent, les poissons reviennent, et pas seulement les humains.
Avec le dérèglement climatique, certains urbanistes estiment que la baignade publique pourrait devenir un indicateur structurant de notre capacité à bâtir une ville habitable. Se baigner dans la Seine devient un geste de transition écologique : se rafraîchir, ralentir, redécouvrir la ville au fil de l’eau.
Ce retour du « plouf en ville » s’inscrit dans la continuité des engagements associatifs des années 2010, des nageurs de l’Ourcq polaires aux Open Swim Stars. Ces pionniers ont ouvert la voie à la première piscine publique dans le bassin de La Villette et aux baignades éphémères du canal Saint-Martin.

Un mouvement métropolitain
Le retour de la baignade dépasse Paris. La Région Île-de-France accompagne la dynamique via ses schémas d’aménagement et ses financements. La Métropole du Grand Paris, grâce à sa compétence Gemapi, facilite les coopérations nécessaires à la gestion du fleuve.
Les départements jouent aussi un rôle clé. Le Val-de-Marne fait figure de pionnier avec le « Big Jump » organisé depuis 2002 et les premières ouvertures à Joinville-le-Pont ou Maisons-Alfort. En Seine amont, l’Essonne porte des projets ambitieux à Ris-Orangis, Corbeil-Essonnes ou Le Coudray-Montceaux. Plus au nord, la Seine-Saint-Denis aménage de nouvelles bases nautiques accessibles à tous. Dans les Hauts-de-Seine, Sèvres et Rueil avancent malgré des obstacles sanitaires.
Mais le récit n’avance pas partout au même rythme : certaines communes manquent encore de financements, d’ingénierie ou de maîtrise d’ouvrage.
Une équation technique, écologique et démocratique
Ouvrir un site de baignade dans un fleuve urbain n’a rien d’une piscine. Il faut maîtriser la qualité bactériologique, concilier la navigation et les usages, anticiper les débordements pluviaux, sécuriser l’accès. L’Apur a publié un « guide pratique » pour accompagner les maires, mais les obstacles restent nombreux : coût élevé, subventions limitées, besoin de formation des équipes municipales.
La baignade est aussi un enjeu d’inclusion sociale : gratuité, horaires, surveillance, accessibilité. Elle implique d’assumer le risque d’accidents et leur médiatisation. Certains acteurs économiques s’inquiètent des conflits d’usage et de la pression sur le foncier qu’elle pourrait entraîner.
La Seine, un fleuve à réinventer
En 2025, la baignade inscrit la Seine dans le quotidien comme un espace de loisirs, de santé et de lien. Avec les JOP, elle est devenue une icône politico-médiatique. Mais au-delà du momentum, se pose la question du statut même du fleuve.
Élus, scientifiques et militants souhaitent lui accorder un cadre juridique spécifique, pour mieux encadrer les pollutions et reconnaître son rôle dans les écosystèmes. Cette démarche, débattue dans le monde entier, invite à faire évoluer le statut des espaces naturels.
Le rapport à la Seine se rejoue aussi au-delà de la région francilienne : en 2025, la Métropole du Grand Paris préside l’Entente Axe Seine, qui fédère les collectivités de Paris au Havre. L’ambition : faire du fleuve un vecteur de développement économique, culturel et environnemental.
Et si, demain, les bateaux touristiques servaient aussi à acheminer les baigneurs ? Et si la Seine devenait un fil conducteur de nos récits collectifs, retissant la vision napoléonienne à l’heure de l’Anthropocène ?
Il y aura peut-être un retour au réel — budgétaire, sécuritaire, environnemental — mais prenons le droit et le temps de rêver. Bon bain !

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