LES CONFINEMENTS SUCCESSIFS ET LE TÉLÉTRAVAIL ONT BOUSCULÉ LES CODES DU BUREAU TRADITIONNEL COMME CEUX DE L’HABITAT. TOUCHÉES MAIS PAS COULÉES, CES DEUX CLASSES D’ACTIFS ÉVOLUENT À MARCHE FORCÉE. TOUR D’HORIZON DES GRANDES TENDANCES POST-CORONAVIRUS QUI SE DESSINENT DANS LE GRAND PARIS.
PROPOS RECUEILLIS PAR AURÉLIEN JOUHANNEAU
Qui aurait parié que 2020 – année où a surgi la Covid-19 avec son lot de confinements – bouscule autant les mœurs en matière de consommation d’immobilier de bureau ? « Le coronavirus a été accélérateur de tendances, à commencer par la massification du télétravail, une pratique qui, avant, suscitait de fortes oppositions en France », souligne Virginie Houzé, directrice du département études et recherche de JLL France. Selon une récente étude publiée par le conseil en immobilier professionnel, 48 % des salariés interrogés souhaitent adopter le travail hydride et être présents 2 à 3 jours par semaine au bureau. « Nous relevons un consensus autour de 2 jours de télétravail par semaine, poursuit Virginie Houzé. En contrepartie, les salariés aspirent à venir au bureau pour retrouver du lien social et produire dans des lieux plus humains qui préservent leur bien-être et leur santé. » De facto, les usages évoluent à vitesse grand V… « Le flex office tend à se généraliser quand les espaces plus confidentiels et salles de réunions sont très demandés », indique Bertrand Gaboriau, directeur du pôle Grands Projets chez CBRE France. « Sans oublier les fortes demandes d’espaces extérieurs végétalisés et une offre de restauration plus saine, en écho au développement durable. » À ce titre, des projets de bureaux post-Covid intègrent ces nouvelles composantes. Citons, entre autres, Home à Villejuif, Symbiose à Bagneux, Stories à Saint-Ouen, Odyssey à La Défense ou Black à Clichy-la-Garenne.
Le projet Home à Villejuif, un lieu dédié à “la performance collective”.
« LES QUARTIERS CENTRAUX (...) SONT LES VRAIS GAGNANTS POST-CRISE SANITAIRE. »
BERTRAND GABORIAU (CBRE FRANCE)
Moins de mètres carrés et centralité
Face à ces (r)évolutions héritées de la crise sanitaire, deux tendances de fond s’installent durablement dans le paysage du bureau. D’abord, les entreprises prennent à bail moins de mètres carrés, pour « mieux » de mètres carrés. « Le panier moyen des grandes transactions s’est réduit en 2021 », selon Virginie Houzé. Même son de cloche chez son confrère Bertrand Gaboriau : « Pour louer un actif de 25 000 m2 en dehors de Paris intra-muros, il peut s’écouler entre 18 et 24 mois. Globalement, les réductions de surfaces de bureaux observées sont de l’ordre de 15 à 25 %. » En contrepartie, les états-majors des sociétés sont prêts à louer des immeubles plus chers – car offrant des services dernière génération. Dans le quartier central des affaires (QCA) parisien, le loyer « prime » se fixe à 960 e/m2/an, contre 550 e/m2/an pour des bureaux neufs à La Défense. Ensuite, la Covid-19 a remis sur le devant de la scène le désir de centralité. « Les quartiers centraux, à l’instar de Paris QCA, sont les vrais gagnants post-crise sanitaire », estime Bertrand Gaboriau. Un phénomène en partie dû à l’« éparpillement des lieux de résidence des collaborateurs », note la directrice du département études et recherche de JLL France. À titre d’exemple, EY a fait le choix de ne pas renouveler son bail dans la tour First à La Défense pour mieux revenir dans le centre de la Capitale. Par ricochet, les marchés locatifs des première et deuxième couronnes parisiennes pourraient souffrir. À moins que le futur déménagement de GRDF du 9e arrondissement de Paris pour la Plaine Saint-Denis redonne du baume au cœur aux investisseurs. « Cet immeuble de 25 000 mètres carrés a séduit l’énergéticien pour son empreinte bas carbone », explique le directeur du pôle Grands Projets chez CBRE France.
« APRÈS LA CRISE, L’HABITAT REPREND UNE PLACE CENTRALE DANS LA VIE DES FRANCILIENS, QUI ASPIRENT À DAVANTAGE DE CONFORT, DE NATURE ET PLUS D’ESPACES INTÉRIEURS ET EXTÉRIEURS. »
VIRGINIE HOUZÉ, DIRECTRICE DU DÉPARTEMENT ÉTUDES ET RECHERCHE DE JLL FRANCE
Environnement, sécurité et qualité de vie
Et le logement dans tout ça ? Quelles tendances se dessinent pour cette classe d’actif post-Covid ? « Tout comme pour le bureau, la pandémie a accentué des phénomènes déjà observés dans le résidentiel », constate Virginie Houzé. En 2019, dans son étude « Habiter le Grand Paris en 2030 », JLL rapportait que les attentes et les insatisfactions les plus fortes des Franciliens concernaient la qualité de l’environnement, la sécurité et la qualité de vie avant l’immobilier. « Les confinements successifs n’ont fait que renforcer ces perceptions », poursuit la directrice du département études et recherche de JLL France. De plus, le télétravail a mis l’accent sur les nuisances sonores et le manque de lumière naturelle dans les logements. « Après la crise, l’habitat reprend une place centrale dans la vie des Franciliens, qui aspirent à davantage de confort, de nature et plus d’espaces intérieurs et extérieurs. » Une tendance qui a entraîné une forte demande en première et deuxième couronnes parisiennes. En 2021, les prix ont grimpé de 5 % dans les départements de Seine-et-Marne, de l’Essonne et du Val-d’Oise ; quant à Paris, le prix au mètre carré a fléchi de 1,6 %. « Il faut le souligner : c’est une inversion entre le début et l’après crise sanitaire », reconnaît Virginie Houzé.
Densification
La Covid-19 a aussi révélé des défis de développement durable – avec, en premier lieu, la lutte contre l’artificialisation des sols. « Sur ce sujet, on relève une prise de conscience profonde de la part des professionnels de l’immobilier », remarque Virginie Houzé. Mais, dans une métropole qui compte 8 700 hab/km2, allier enjeux climatiques et production de logements peut être synonyme d’une densification encore plus accrue… « Dans cet environnement urbain très contraint, il faudra trouver un juste équilibre entre les aspirations des habitants et les décisions prises par les collectivités locales. » À moins que l’hybridation des modes de travail altère la forte pression de la demande pour se loger dans le Grand Paris. « Le télétravail contrebalance le schéma hérité du XIXe siècle, celui où il fallait vivre à côté de son lieu de travail. Néanmoins, cette pratique a ses limites : toutes les catégories sociaux-professionnelles ne peuvent prétendre à travailler de chez elles et déménager à une ou deux heures en TGV de Paris », conclut Virginie Houzé.
Le projet Black à Clichy-la-Garenne par AXA IM Alts et Redman.
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