top of page

QU’EST-CE QUE L’AXE SEINE ?

PARIS-ROUEN-LE HAVRE, UNE CONSTRUCTION POLITIQUE ? UNE UTOPIE ÉCONOMIQUE ? ET SI C’ÉTAIT UN PEU TOUT CELA À LA FOIS…

PAR CÉSAR ARMAND



« La Seine est le fleuve sur le bord duquel j’aurai passé l’essentiel de ma vie. Je me suis aperçu très tard que cette mince coulée grise et verte formait le centre d’un territoire mi-parti, réel et imaginaire, dont je n’avais cessé de vouloir déchiffrer le secret. » Cette déclaration d’amour mi-ironique, mi-sérieuse est signée François Sureau en ouverture de L’Or du Temps (Gallimard, 2020).


Dans ce récit consacré au fleuve, le dernier académicien entré sous la Coupole écrit encore que « la Seine n’est rien, un fleuve assez provincial auquel ses berges, ses villes, ses écrivains et ses peintres tournent souvent le dos et qui n’apporte rien d’autre que l’occasion de rêver à de grands voyages ultramarins ».


Car oui, l’axe Seine, avant d’être un axe de transport de marchandises et de personnes, est un fleuve. Un fleuve long de 775 kilomètres qui prend sa source à… Source-Seine, village de 62 habitants en Côte-d’Or (Bourgogne-Franche-Comté) et qui traverse quatre régions avant se jeter dans la Manche au niveau de la cité balnéaire normande d’Honfleur (Calvados). Tout au long de sa route, il aura arrosé des capitales départementales – Troyes (Aube) ou Melun (Seine-et-Marne) – et surtout des ports majeurs : Paris, Rouen et Le Havre. « Paris, Rouen, Le Havre ne forment qu’une seule ville dont la Seine est la grande rue », aurait d’ailleurs déclaré un certain… Napoléon Bonaparte, premier consul, en 1802. Paris, Rouen et Le Havre sont encore trois communes différentes mais, depuis le retour d’Édouard Philippe à la mairie du Havre et les réélections d’Anne Hidalgo et de Nicolas Mayer-Rossignol aux mairies de Paris et de Rouen, les villes retravaillent ensemble en ce sens.


Les trois édiles ne font que reprendre le flambeau porté, en leur temps, par Bertrand Delanoë, Laurent Fabius et Antoine Rufenacht, mais ils ont au moins le mérite d’illustrer ce concept de « Grand Paris jusqu’au Havre », théorisé par l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, il y a presque quinze ans. « Nous avons lancé Paris ville-monde avec l’évidence que la porte d’entrée essentielle du Grand Paris ne pouvait être que Le Havre », se souvient Christian Blanc, l’ancien secrétaire d’État chargé du développement de la Région Capitale.


Depuis la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, le fleuve a effectivement continué de couler sous les ponts. Par exemple, en 2014, l’État a créé une délégation interministérielle au développement de la Vallée de la Seine. Force est de constater qu’en sept ans, « une conscience collective et une vision partagée s’incarnent dans la réalité », comme le relève l’ex-délégué interministériel François Philizot.


Deux contrats de plan inter-régions Île-de-France-Normandie ont effectivement été signés depuis. Ils portent aussi bien sur la performance industrielle et logistique que sur les infrastructures ferroviaires et portuaires. L’illustration la plus emblématique est le programme d’investissement de 1,45 milliard d’euros sur la période 2020-2027 au bénéfice d’Haropa, l’établissement public portuaire unique né le 1er juin dernier.


Haropa, le « Grand port fluvio-maritime »


Fort de 1 800 collaborateurs, cet ex-groupement d’intérêt économique concentre tous les moyens qui financeront les projets de l’axe Seine en s’appuyant sur les trois directions territoriales de Paris, Rouen et Le Havre. Ces dernières gèrent tout l’opérationnel : les travaux, le dialogue social local, les relations avec les manutentionnaires. Le directoire qui siège au Havre est chargé des finances, du développement, de la multi-modalité et des transitions numériques et écologiques. Son président, Stéphane Raison, s’est fixé deux objectifs : d’un côté, renforcer cette toile industrielle en préparant mieux les terrains et en créant de la synergie entre les acteurs historiques et les nouveaux dans le sens de l’écologie ; de l’autre, accélérer le processus d’implantation sur le foncier portuaire. « Je ne peux pas passer dix ans à faire autoriser une zone de 150 hectares face à des prospects industriels qui souhaitent s’installer dans les deux ans, qui ont l’Europe pour horizon », confie-t-il. 80 % des marchandises, qui quittent Le Havre ou y arrivent, transitent en outre par la route, contre moins de 50 % à Anvers. Soit autant de camions sur les routes françaises au détriment des économies climatiques et financières. « Notre idée est de mettre le paquet sur le fluvial », réplique le président du directoire, qui fait remarquer que, dans le décret paru au Journal Officiel fin mai, Haropa ne s’appelle plus « Grand port maritime et fluvial » mais « Grand port fluvio-maritime ».


Privilégier le mode de transport fluvial


Pour Stéphane Raison, « rien que cette sémantique est un signal ». Il ne croit pas si bien dire. Toutes sources confondues, un convoi fluvial moyen de 4 500 tonnes représente 220 camions évités et donc autant de pollution atmosphérique. Soit entre 8,8 et 37,4 grammes de dioxyde de carbone par tonne et par kilomètre en moins. Sur l’axe Seine, le cousin d’Haropa, Voies navigables de France (VNF), entretient, exploite et développe au quotidien 1 400 kilomètres de voie d’eau, dont 700 à grand gabarit partagés. Le rôle de cet autre établissement public, dont les missions consistent à créer les conditions du développement du transport de fret, à concourir à l’aménagement du territoire et au développement touristique, et à assurer la gestion hydraulique en garantissant la sécurité des ouvrages, est crucial pour la réussite logistique de l’axe Paris-Rouen-Le Havre.

Le directeur général de VNF, Thierry Guimbaud, et l’État ont signé, en mai, un contrat d’objectif et de performance (COP) sur dix ans pour améliorer les services rendus aux usagers des fleuves, à commencer par les chargeurs, transporteurs ou encore les compagnies touristiques. Et surtout pour faire du fluvial « le premier mode de transport devant la route et le rail », souligne Thierry Guimbaud.


Après avoir subi le développement du réseau routier et autoroutier à grande capacité, puis la désindustrialisation du pays qui a fait que l’acheminement de matières premières lourdes a privilégié d’autres modes de livraison, le fleuve serait en train de prendre sa revanche. Selon les données de Voies navigables de France, 2019 a connu une croissance du trafic commercial de 10 % par rapport à 2018 et 2020, malgré le cataclysme de la pandémie, a atteint le niveau de 2018. D’autant que si les céréaliers, les BTPistes, les transporteurs de déchets ou encore les industriels de l’aéronautique sont des habitués, d’autres acteurs économiques pourraient redécouvrir les voies d’eau. « On pourrait faire passer quatre fois plus de bateaux qu’aujourd’hui. On est très loin de la limite de saturation à la différence de la route et du rail », assure encore le directeur général de VNF.

Autre sujet et non des moindres à l’agenda de VNF : le canal Seine-Nord-Europe, prévu fin 2028 entre la Seine et l’Escaut pour connecter les bassins de la Seine et de l’Oise à tout le réseau fluvial nord-européen. Si ce chantier est enfin lancé après une dizaine d’années d’hésitations, il est encore parfois considéré comme une voie royale du port d’Anvers vers Paris.


Pour Haropa, qui gère les ports de Paris, Rouen et Le Havre, il sera, au contraire, très utile au développement de la vallée de la Seine, selon Stéphane Raison. « Le fait de pouvoir récupérer dusucre ou des céréales qui vont descendre depuis le nord de la Picardie jusqu’aux terminaux de Rouen constituera un sacré avantage en termes de massification », explique-t-il. Normandie, Île-de-France, Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté et demain les Hauts-de-France. L’axe Seine, ce sera bientôt cinq régions administratives sur les treize que compte la France métropolitaine. La moitié de notre pays. Rien de moins.


Comments


bottom of page