L’histoire du syndicat des eaux d’Île-de-France, créé en 1923, se conjugue avec celle de la banlieue parisienne où « aller à l’eau » était encore, au début du XXe siècle, une corvée pour bien des habitants. Cent ans plus tard, le service public de l’eau continue à faire son chemin.
Par Catherine Bernard

« Quel chemin parcouru depuis 1923, quand “aller à l’eau” représentait une corvée quotidienne harassante pour une partie des habitants de la banlieue », s’exclame André Santini, président du syndicat des eaux d’Île-de-France. Difficile d’imaginer en effet, cent ans après la création du Sedif, que les cuisines et les salles de bain disposant d’eau courante n’étaient encore, en 1923, qu’un rêve pour une bonne partie des résidents de la zone dense francilienne. À l’époque, l’urgence était plutôt de disposer d’une eau tout simplement potable.
Pour ce faire, des concessions avaient été accordées au XIXe siècle à des sociétés privées pour purifier l’eau et la délivrer aux habitants. Mais la qualité était parfois inégale entre les zones et les tarifs variables. Après quelques tentatives de régulation avant la Première Guerre mondiale, le Sedif – né Syndicat des communes de la banlieue de Paris pour les eaux – est donc créé en 1923 pour veiller à ce que l’eau fournie par la Compagnie générale des eaux soit distribuée « en quantité et qualité voulues », mais aussi pour examiner les comptes de son délégataire. Dès sa création, plus de 130 communes de la banlieue parisienne en sont membres, représentant environ 1,5 million d’habitants. Outil politique innovant, ce syndicat est l’émanation des communes (et aujourd’hui des intercommunalités) qui s’unissent pour mieux partager l’effort nécessaire à la potabilisation et à la distribution de l’eau aux habitants.
Un outil industriel de grande ampleur
Alors que la population ne cesse d’augmenter et, qu’après la Seconde Guerre mondiale, le besoin de confort s’accroît, le syndicat pilote la modernisation des usines d’eau qui deviennent de véritables objets industriels. Aujourd’hui, les 4 millions d’usagers desservis par le Sedif sont approvisionnés par 3 usines principales, situées chacune sur une rivière : l’usine de Choisy-le-Roi, dans le Val-de-Marne, est approvisionnée par la Seine (capacité de 600 000 m3/j) ; celle de Neuilly-sur-Marne, en Seine-Saint-Denis, reçoit les eaux de la Marne (capacité de 600 000 m³/j) ; celle de Méry-sur-Oise, dans le Val-d’Oise, borde l’Oise (capacité de 340 000 m³/j).
Ces sites sont des installations de grande taille : l’espace est en effet nécessaire pour que l’eau soit décantée, clarifiée et passe par plusieurs étapes de filtration, chacune ciblant certains types d’éléments pathogènes. Enfin, l’eau est chlorée avant d’être envoyée dans une unité élévatoire, puis injectée sur le réseau. En tout, le parcours de l’eau, de son prélèvement à sa sortie de l’usine, prend une dizaine d’heures.
Pour la distribuer, le Sedif a construit 8 000 km de canalisations de différents diamètres. Il est également propriétaire de 45 stations de pompage pour acheminer l’eau vers les reliefs plus élevés, comme le plateau de Saclay, dans l’Essonne ; 75 réservoirs, qui prennent souvent la forme de châteaux d’eau, permettent des stockages temporaires d’eau, pour mieux répondre aux besoins, très variables selon les heures de la journée. Deux stations d’échange sont équipées pour transférer, si nécessaire, de l’eau entre les usines du syndicat. Enfin, 69 interconnexions existent entre le réseau du Sedif et ceux des autres opérateurs d’eau franciliens, afin de permettre un secours mutuel en cas d’indisponibilité temporaire de leurs installations.
Pour piloter ce réseau, le syndicat a mis sur pied le ServO, basé à Nanterre (Hauts-de-Seine). Il suit, par exemple, les informations données par les 1 700 capteurs Rés’écho qui font remonter des suspections de fuite. Grâce à ces outils, le rendement dépasse les 90 %.
L’accessibilité, un défi toujours renouvelé
Pourtant, si, en 100 ans, la situation a bien changé, le syndicat des eaux d’Île-de-France n’en est pas moins confronté à de nouveaux défis. Celui de l’accessibilité tout d’abord. Certes, l’eau du robinet est désormais disponible dans chaque foyer, ou presque. Elle n’en reste pas moins un service inaccessible à certaines bourses. C’est pourquoi le Sedif a lancé, en 2011, le programme « Eau solidaire ». Doté de 1 % des recettes provenant des ventes d’eau, soit environ 2,5 millions d’euros par an, il comporte trois volets. Le premier consiste à aider les personnes en difficulté ou en situation d’urgence à payer leur facture d’eau ou, lorsqu’elles habitent en immeuble collectif, l’équivalent « eau » du loyer. Près de 60 000 foyers ont ainsi déjà été aidés.
Le deuxième volet concerne la prévention : il s’agit de sensibiliser les publics – et notamment les plus fragiles – aux écogestes permettant de réduire les volumes d’eau consommés. Ceci passe par un travail mené avec une trentaine d’associations. Enfin, le troisième volet vise à accompagner les résidences et copropriétés dans la recherche de fuites d’eau, souvent invisibles, mais, in fine, très coûteuses, et à les réparer. Depuis 2015, environ un millier de copropriétés ont ainsi été l’objet d’une surveillance des volumes consommés.
Mais, cent ans après la création du Sedif, le principaldéfi du syndicat reste la qualité de l’eau distribuée. Car si l’outil industriel est dimensionné pour répondre, largement, à toutes les normes en vigueur, celles-ci se trouvent parfois dépassées par la réalité. Ainsi, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a publié, en avril 2023, les résultats d’analyses sur plus de 150 pesticides et métabolites de pesticides.
800 millions d’euros pour la qualité de l’eau
Or ces résultats font apparaître, y compris en Île-de-France, la présence très fréquente dans l’eau potable du métabolite du chlorothalonil R471811, dérivé d’un pesticide interdit depuis 2019. « Les mesures indiquent que les filières actuelles de traitement des trois usines principales de production de Choisy-le-Roi, Neuilly-sur-Marne et Méry-sur-Oise, pourtant complètes, ne peuvent retenir certains pesticides que les progrès de l’exploration scientifique mettent au jour », explique André Santini. « C’est pourquoi le Sedif a étudié, depuis 2015, la possibilité de mettre en œuvre à 100 % la technologie de filière membranaire haute performance sans reminéralisation, afin de retenir toujours plus de micropolluants, résidus médicamenteux et autres perturbateurs endocriniens. »
Dans les filières dites « traditionnelles », l’eau passe par plusieurs étapes de filtration : sable, ozonation, charbon actif, ultraviolets, chacune ciblant certainstypes d’éléments pathogènes. Dans les filières membranaires, l’eau est injectée dans des membranes dont les trous sont si petits qu’ils ne laissent passer que le liquide. Les membranes capturent les polluants contenus dans l’eau. Pour l’heure, seule l’usine de Méry-sur-Oise est équipée d’un système de nanofiltration, qui cohabite avec la filière conventionnelle. Mais le Sedif entend généraliser cette famille de technologies et, notamment, l’osmose inverse basse pression, qui fait actuellement l’objet d’un débat public. La qualité de l’eau a un prix : des investissements de l’ordre de 800 millions d’euros seront consentis d’ici à 2032.
Parallèlement, le Sedif agit à la source pour aider les agriculteurs à changer de pratiques et à utiliser moins d’intrants chimiques. Tel est l’objet du programme « Terre & Eau 2025 », qui vise à protéger la nappe de Champigny, en Seine-et-Marne.
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