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LE GRAND PARIS FACE AU DÉFI VERTIGINEUX DU LOGEMENT

Alors que la population francilienne ne cesse de croître, avec environ 50 000 nouveaux habitants par an en Île-de-France, le logement ne suit pas et l’étau se resserre sur la pierre. Entre nouvelles réglementations et incertitudes socio-économiques, comment relever le défi et construire à la hauteur des enjeux ?

Par Elena Jeudy-Ballini



Une « tempête parfaite ». Voilà ce que nous traverserions, d’après les économistes. La scène socio-économique accusant de sérieuses turbulences, un secteur en particulier fait l’objet de toutes les inquiétudes. Dans la région capitale, en effet, le logement est à la peine. Alors qu’un nombre impor­tant de logements s’apprêtent à sortir du parc locatif du fait des nouvelles réglementations en matière énergétique, les difficultés à se loger s’accentuent dans la métropole. Côté ventes, l’inflation et le durcissement des conditions d’octroi des crédits pèsent sur la solvabilité des ménages, lesquels tendent à se retirer du marché. 20 500 logements de tous types d’habitat confondus ont ainsi été vendus en 2022, soit 46 % de moins qu’en 2019.

Alors que tous les regards se tournaient donc vers l’immobilier neuf, qui aurait pu prendre le relais, celui-ci subit une crise relativement inédite. Avec 23 700 nouveaux logements construits en 2022 (dont 58 % réalisés au sein de la métropole du Grand Paris), la production est en baisse de 17 % par rapport à 2019 et de 36 % comparé à 2017. Dans le même temps, les permis de construire accordés aboutissent de moins en moins. En 2022, 150 000 logements sont ainsi restés sur le banc de touche.

Pourtant, les constructions neuves présentent de nom­­breux avantages en matière énergétique et contribuent au recyclage urbain en rebâtissant la ville sur elle-même. « Pour l’heure, dans la région capitale, on parle d’une carence de production d’environ 15 000 logements annuels », indiquait récemment Brice Piechaczyk, associé à Enia architec­tes, lors de la matinale « logement » organisée dans le cadre des Assises du Grand Paris. Et entre contraintes réglementaires et tensions sur le marché, faire face au défi relève parfois du numéro d’équilibriste…


Foncier : de la conquête à la réutilisation

Si le foncier était auparavant consommé sans restric­tion, il représente aujourd’hui une ressource rare et chère. Les objectifs de zéro artificialisation nette (ZAN) poussent de fait non seulement à limiter les nouvelles emprises, mais aussi à valoriser celles existantes. Or, en Île-de-France, et selon l’Institut Paris Region, 4,5 millions de mètres carrés de bâtiments tertiaires seraient vacants. La reconversion de ces actifs représente un outil de plus en plus évoqué par les acteurs du logement, à l’heure où l’étalement urbain et la surconsommation du foncier sont autant d’éléments que les nouvelles réglementations visent à réduire. Celle-ci répond au manque de logements au bénéfice d’un parc immobilier plus vert : elle améliore le bilan carbone de la production de logements neufs grâce à la conservation de l’existant et entraîne sa mise à niveau en matière énergétique. La transformation de ces actifs offre également l’occasion de renforcer la mixité urbaine en améliorant l’équilibre entre emploi et logement, en particulier dans les territoires à forte dominante tertiaire. Du logement mais pas seulement afin d’éviter l’effet « cité-dortoir ».

Accélérer la reconversion des friches fait aussi partie des pistes en mesure de satisfaire la demande de logements, d’autant que certaines sont localisées en espaces denses. Déjà artificialisés, ces fonciers peuvent en effet devenir des espaces intégrés dans la ville. Et en Île-de-France, ils sont nombreux : fin 2022, l’actualisation de l’Observatoire des friches franciliennes recensait ainsi 2 673 friches dont près de 750 en petite couronne, ce qui représente 4 350 hectares, soit environ la moitié de la surface de Paris.


Logement social : le rôle des organismes de foncier solidaire

Cependant, crise du logement oblige, il convient surtout de construire abordable pour les 70 % de Franci­liens éligibles au logement social. Avec un nombre de demandeurs ayant doublé en une décennie, le parc social, lui, n’a augmenté que de 7 %, rapporte la Fondation Abbé Pierre. Il y a donc un impératif à pro­duire. En ce sens, les organismes de foncier solidaire (OFS) ont le vent en poupe. Près de 110 étaient recensés en France fin 2022, dont une vingtaine dans la région capitale. Et la dynamique de demandes d’agrément se poursuit, selon l’Institut Paris Region. En effet, boosté par la loi Elan, le bail réel solidaire (BRS), favorisant l’accession sociale à la propriété, a été intégré dans le décompte des logements sociaux de la loi SRU au titre du prêt locatif social. Les collecti­vités apportent leur garantie d’emprunt aux opérations de BRS, qui figurent désormais dans les nouvelles générations de programmes locaux de l’habitat ainsi que dans les outils réglementaires des PLU, voire dans les chartes de construction soumises aux promoteurs.

Si la dissociation entre foncier et bâti, mise en exergue par le bail réel solidaire, a de quoi séduire les ménages aux revenus modestes, elle représente aussi une piste intéressante pour produire des logements à des prix décotés par rapport au marché.


Autorisations administratives et désirabilité des projets

De l’avis d’Olivier Frard, trésorier du club Acteurs du Grand Paris, laisser aux seuls maires la décision des permisde construire apparaît contreproductif : « La construction de logements est un problème politique entre des élus locaux qui n’assument pas ladensification et les riverains qui ne veulent pas denouvelles constructions à côté de chez eux. En somme,on veut de la densité mais pas chez soi ! La délivrance des autorisations administratives constitue un des principauxfreins à l’acte de construire et à l’augmentation de l’offre. »

La question de l’acceptabilité des projets par les habitants demeure également un levier à actionner pour accroître la production de logements (et gagner l’approbation des élus locaux). Parmi les innovations mises en œuvre dans le futur PLU bioclimatique de Paris, le concept d’externalités positives favoriserait en effet l’acceptabilité des projets. Il leur permettrait de sortir de la pure propriété et de l’unité foncière en profitant à l’îlot, voire au quartier. Par ailleurs, construire du logement sur un territoire nécessite de prévoir les équipements publics nécessaires à l’accueil de nouveaux habitants : un enjeu dépendant notamment de la fiscalité d’urbanisme. Or, à l’heure où les collectivités peinent à digérer la suppression de la taxe d’habitation, la question du financement du service public nécessaire à l’accroissement du parc de logements sur un territoire se pose.


Vers un Grand Paris du logement ?

Entre hausse exponentielle des prix du foncier et l’augmentation des coûts de construction, de nombreuses opérations se trouvent prises en étau. Pour les promoteurs qui ont acquis des terrains à des prix trop élevés et n’ont d’autre choix que d’annuler les opérations, voire de vendre à perte, il manque assurément une véritable politique du logement régulant le prix du foncier. À l’échelle métropolitaine, de l’avis de tous, une autorité organisatrice fait défaut et de nombreux acteurs naviguent à vue dans l’attente du Plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement (PMHH). Celui-ci sera le premier document de planification de l’habitat et de l’hébergement à l’échelle de 131 communes et 7 millions d’habitants. Il portera l’ambition d’assurer un développement équilibré de l’offre et une amélioration du parc existant, dans une perspective de réduction des inégalités territoriales et de réponse aux besoins des ménages. « Le politique doit s’emparer du logement, estime Olivier Frard. La théorie et les grandes orientations sont une chose. Les décisions assumées en sont une autre. Et il faudra une pratique à la hauteur des problématiques. »


PLU de Paris : booster le logement social et contraindre la construction

Le PLU bioclimatique de Paris, en cours d’enquête publique depuis le vote du premier règlement en Conseil de Paris en juin dernier, prévoit que les constructions neuves devront comprendre 30 % de BRS dans les quartiers non déficitaires en logements sociaux, 35 % dans les zones déficitaires et 50 % dans les zones hyper déficitaires. Le seuil à partir duquel ces règles s’appliqueront est fixé à 500 m² de surface de plancher. Par ailleurs, tout immeuble de plus de 5 000 m² situé dans l’ouest parisien devra consacrer 10 % de sa surface à la création de logements, en cas de restructuration lourde. La hauteur des immeubles sera désormais plafon­née à 37 m, partout dans Paris. Les construc­tions 100 % béton seront interdites pour privilégier les matériaux avec un faible bilan carbone (bois, pierre de taille, chanvre, terre crue).

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