« S’ADAPTER », TEL POURRAIT ÊTRE LE MOT D’ORDRE DE L’ENSEMBLE DES ACTEURS DE L’IMMOBILIER, NOTAMMENT DE TOUS CEUX QUI CONSTRUISENT LE GRAND PARIS. FAISONS DONC, AVEC QUELQUES FIGURES DES MARCHÉS, UN TOUR D’HORIZON DE LEURS CRAINTES, ET SURTOUT DE LEURS ESPOIRS… POUR DEMAIN !
PAR PASCAL BONNEFILLE, DIRECTEUR D’IMMOWEEK
Dans une chronique récente, parue dans Immoweek, le secrétaire général du groupe LVMH, président du Cercle Pierres d’Or, Marc-Antoine Jamet, introduisait la question de l’avenir du secteur avec le talent et l’humour qu’on lui connaît et se demandait : « “Oh ! que sera demain, le début ou la fin…” Telle était au siècle précédent – à moins que ce ne soit celui d’avant – la scie que serinait mélancoliquement Yves Simon, chanteur filiforme et germanopratin. Sans en changer un mot, le chœur injustement méconnu des professionnels de l’immobilier, de sa voix suave, pourrait psalmodier la rengaine. Le début ou la fin ? La question ne se pose peut-être pas aussi brutalement dans tous les secteurs de notre petite industrie. L’apocalypse ne frappe pas à notre porte. On verra encore des transactions, des baux et des chantiers. Mais une chose est sûre : il va falloir s’adapter. » Un point de vue partagé par nombre d’acteurs des marchés...
Pour Thierry Laroue-Pont, président de BNP Paribas Real Estate : « Un premier enseignement qu’il est bon de rappeler quand tout semble morose : notre secteur ne s’est pas effondré. Il a connu son lot de difficultés, comme l’arrêt des chantiers, l’impossibilité d’organiser les visites physiques, les doutes aussi des investisseurs institutionnels comme particuliers qui ont parfois préféré reporter certains arbitrages… Malgré tout cela, nous sommes toujours debout. Ainsi, alors que nous aurions pu craindre son arrêt total, le marché de l’investissement en Europe a montré une forte résilience. Si les volumes investis en immobilier d’entreprise en 2020 ont diminué de 23 % par rapport à 2019 (contre un effondrement de 47 % en 2008 !), atteignant tout de même 222,4 milliards d’euros, il est important de relativiser la chute en rappelant que 2019 fut l’année de tous les records. » Et de poursuivre : « En 2020, nous avons fermé, contraints, la page d’une approche fonctionnelle de la ville. En 2021, nous écrivons la première page de la ville inclusive et résiliente. Loin d’être des “buzz words”, ces notions ont pris une épaisseur particulière à l’aune de la crise sanitaire. À nous d’en faire désormais une réalité tangible pour la société. »
Fabrice Allouche, président de CBRE France, anticipe, de son côté, la reprise en phases : « Nous anticipons une reprise en trois actes : d’abord, les marchés logistique et résidentiel dès 2021, puis les bureaux autour de 2022 et, enfin, le commerce et l’hôtellerie, pas avant 2023. » Et souligne-t-il, « cette pandémie nous aura appris à travailler, à consommer, à produire ou encore à investir autrement. Faisons en sorte, collectivement, que cet “autrement” soit celui d’un développement plus durable et responsable ».
Barabara Koreniouguine, présidente de Cushman & Wakefield France, affirme d’emblée : « Prenons acte des changements conjoncturels (qui n’auront par définition qu’un temps, révolu avec l’accélération de la vaccination anti-Covid-19), mais surtout de ceux structurels qui ont affecté et affecteront sur le long terme notre rapport individuel et collectif à l’immobilier, qu’il soit d’entreprise ou résidentiel. Repensons la matière immobilière comme un matériau agile, levier de croissance pour notre industrie et pour les entreprises du conseil. » Et pas de doute, « l’immobilier de bureau doit devenir une matière plus agile, source de développement pour les entreprises qui, passé le trauma de 2020, doivent se relancer dans une compétition économique toujours plus i
ntense. Le constat vaut aussi pour d’autres formes d’immobilier que sont les commerces et les entrepôts logistiques du XXS au XXL : cet animal étrange qu’est le consommateur bouscule les codes et dicte sa loi, obligeant le monde de la distribution, dans une acceptation globale, à réinventer un modèle flexible où l’expérimentation tient une place importante… ».
Côté commerces justement, pour Antoine Grignon, co-directeur du département investissement chez Knight Frank, « la baisse durable des nouveaux développements devrait profiter aux actifs existants qui, depuis plusieurs années, pouvaient à la fois souffrir des arbitrages des consommateurs et du développement soutenu de nouveaux mètres carrés de commerces. L’adaptation de l’existant aux nouvelles attentes des consommateurs n’en est pas moins indispensable, ce dont les foncières ont conscience puisqu’elles s’efforcent depuis des années de moderniser et de repositionner leur patrimoine. L’épidémie de Covid-19 accélérera cette tendance, contribuant à la montée en gamme et à l’adaptation du parc immobilier dans une logique de complémentarité avec les ventes en ligne. Amplifié par la crise sanitaire, l’essor du e-commerce est, en effet, un facteur déterminant, qui interroge de plus en plus le rôle même des points de vente, contribuant notamment à la multiplication des “drives piétons”, “dark kitchen” et autres points de retrait ou de préparation de commandes ».
Pour Gontran Thüring, délégué général du Conseil national des Centres commerciaux, « le confinement a fait ressortir le rôle économique du commerce de détail lié à sa fonction d’approvisionnement en biens de consommation. Il a également mis en exergue son utilité sociale par la carence de contacts humains qu’il a provoquée. Lieux de distribution, les centres commerciaux et leurs magasins devront encore plus et mieux demain devenir des lieux d’expériences et de passions partagées ». D’où le constat : « Monolithiques et souvent isolés, âgés en moyenne de trente ans, les centres commerciaux et leurs magasins devront se rénover et s’étendre en proposant d’autres fonctions pour mieux s’intégrer, aux sens physique et sociétal, dans la cité et contribuer ainsi à son animation. »
François Le Levier, managing director en charge de l’activité industrielle et logistique de CBRE France, introduit d’emblée : « Il y a fort à parier que la demande placée en France demeure soutenue cette année et cohérente avec la moyenne historique des plus de 3 millions de mètres carrés, notamment nourrie par une part importante de clés en main qui répond aux besoins de renouvellement du parc. Mais une demande placée pas exponentielle. Mais si le marché locatif nous invite à la prudence, le marché de l’investissement, quant à lui, surperforme. L’an dernier, CBRE présentait les résultats de son étude annuelle “Global investor intentions survey”, résultant de la synthèse des intentions de plus de 1 000 investisseurs du monde entier. Plébiscitée à 33 % en Europe et 50 % en Amérique, la classe d’actifs industriels et logistiques est la plus recherchée par les investisseurs, loin devant le bureau et le commerce. De fait, sur les trois dernières années, la moyenne du volume d’échanges en France a augmenté de 30 % pour atteindre 15 % des allocations. Les prix de vente ont été multipliés par deux en dix ans… »
Toujours côté logistique, Laurence Giard, directrice générale de Segro France, plaide pour la requalification des friches industrielles, spécialité du groupe qu’elle manage : « Au cœur des bassins d’emploi et de consommation, dans un contexte de raréfaction du foncier, de sous-utilisation de l’espace urbain et des enjeux visant à limiter l’artificialisation des sols, il est essentiel de se tourner vers la requalification de sites industriels (…) qui représente un enjeu majeur :
des friches bénéficiant d’emplacement “prime”, situées à proximité des grands axes de transport et de communication connaissent ainsi une seconde vie en accueillant des sites de logistique et de distribution urbaines de nouvelle génération intégrés au paysage urbain, générateurs d’emplois et permettant de servir la ville et les consommateurs. Il y a, bien évidemment, un autre argument en faveur de la requalification d’anciens sites industriels : le volet environnemental. Cette démarche implique notamment la dépollution des sols, le réemploi des matériaux et ressources existants… »
Et concernant l’habitat ? Selon Olivier Wigniolle, le directeur général d’Icade : « Le marché résidentiel confirme sa résilience avec une demande toujours forte, mais une pénurie d’offres qui s’accentue. Les fondamentaux du secteur sont sains avec des conditions financières favorables et des banques moins fragiles qu’en 2008 ou en 2012. Les chantiers ont su s’adapter aux contraintes sanitaires et les lancements de programmes se sont poursuivis : ce sont les autorisations de construction qui peinent le plus à remonter la pente, avec un recul de 19 % depuis le premier confinement pour le logement collectif.
Le financement des particuliers, lui, reste favorable, avec toutefois une évolution du profil des acquéreurs vers davantage de ménages aisés (l’apport a bondi de 10 % en 2020). » Et de préciser : « Nous constatons un regain d’intérêt des institutionnels pour le résidentiel, au-delà des acquisitions importantes de CDC Habitat et d’In’li. En 2020, leurs investissements ont bondi à 5,5 milliards d’euros selon ImmoStat. La multiplication des fonds dédiés et leur appétence pour des actifs gérés (résidences seniors, étudiantes, en coliving) nous offrent de belles perspectives d’activité. En 2021, nous accélérons le développement d’une offre bas carbone avec le lancement d’Urbain des Bois et en intégrant les enjeux de biodiversité avec Naturellement chez soi by Icade… »
Pour Christophe Volle, cofondateur de Bridge Real Estate : « Les investisseurs, confortés par des fondamentaux démographiques solides, par l’émergence de nouveaux besoins (mobilité, flexibilité, communauté de vie) et par un déficit d’offres adaptées, ont accéléré leurs investissements dans l’immobilier géré au cours des dernières années. C’est, pour eux, un
moyen de diversifier leur allocation d’actifs, de développer leurs investissements socialement responsables mais aussi de mettre en place une stratégie d’investissement globale en s’intéressant à l’ensemble du parcours résidentiel. L’immobilier résidentiel est engagé dans un cycle permettant de réinterpréter la façon avec laquelle nous occupons notre habitat et, par écho, la vision même de l’investissement évolue avec une volonté de couvrir l’ensemble des besoins et des usages avec un prisme générationnel. »
Concluons ce – rapide – panorama avec l’analyse encourageante de Grégory Frapet, le président du directoire de Primonial Reim, qui reste « confiant sur les perspectives pour le secteur immobilier et pour Primonial Reim en particulier, au regard des choix stratégiques que nous avons faits dès l’origine : un positionnement “core”, une gestion de conviction, une diversification sectorielle et européenne. Pour nous, l’un des enjeux principaux sera, une nouvelle fois, de privilégier des relations de grande proximité avec nos clients locataires en surveillant de près le recouvrement des loyers et en défendant les valeurs d’expertise par un asset management actif. Enfin, nous adaptons nos stratégies d’investissement, d’arbitrage et de gestion à la “nouvelle normalité” du monde d’après pour intégrer l’évolution des usages, l’offre de services au sein de notre patrimoine et la digitalisation ».
De ces témoignages, recueillis par les journalistes d’Immoweek, on tirera sans difficulté une conclusion : les acteurs des marchés, dans leurs différences, sont prêts à relever les défis, notamment dans le cadre du Grand Paris, toujours plus attractif. Et qui – soyons en sûrs – n’a pas dit son dernier mot.
Comments