TRADITIONNELLEMENT CONCESSIONNAIRES D’OPÉRATIONS D’AMÉNAGEMENT, LES PRINCIPALES SOCIÉTÉS D’ÉCONOMIE MIXTE FRANCILIENNES, CRÉÉES À L’INITIATIVE DE COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, ÉLARGISSENT LEUR PALETTE D’OUTILS AFIN DE FAIRE FACE AU NOUVEL ENVIRONNEMENT BEAUCOUP PLUS CONCURRENTIEL. TOUT L’ENJEU CONSISTE À LIER RENTABILITÉ ÉCONOMIQUE ET INTÉRÊT GÉNÉRAL.
PAR FABIENNE PROUX
Le constat est unanime : depuis 3 à 4 ans, l’aménagement historiquement réservé aux acteurs publics, souvent par le biais de sociétés d’économie mixte (SEM), est devenu un secteur extrêmement concurrentiel sous le double effet de la réduction de la taille des opérations et de la rareté du foncier. Conséquence : les opérateurs privés disposant d’importants moyens financiers se positionnent aux endroits les plus créateurs de valeur, autour des gares par exemple, laissant aux aménageurs publics les endroits où il est difficile de sortir des opérations, car le prix des logements reste peu élevé et les valeurs créées ne permettent pas de faire des équipements publics. Tout l’enjeu pour ces SEM consiste à « réussir à développer la ville mixte socialement et fonctionnellement », explique Christophe Richard, directeur de Sadev 94, l’opérateur de plusieurs collectivités val-de-marnaises. Une gageure face à « l’étirement du Grand Paris » qui contribue à survaloriser les terrains notamment autour et aux alentours des gares du Grand Paris Express (GPE), rendant encore problématique la production de logements sociaux et en accession.
« Il est légitime que les promoteurs gagnent de l’argent. Il est anormal que l’aménageur en perde », résume Maurice Sissoko, directeur général de Citallios. Face à ce nouveau paradigme, et pour rester « attractives », les SEM d’aménagement franciliennes ont dû repenser leur modèle économique et s’adapter en élargissant leurs activités, et parfois même leur territoire de base. « Une entreprise comme la nôtre ne doit plus être dédiée à une collectivité locale, mais agir comme un acteur économique dont ont besoin les territoires », convient Willem Pauwels, directeur de Paris Sud Aménagement, dont l’actionnaire majoritaire est la ville de Massy (Essonne). « Notre objectif est d’être présents sur l’ensemble de la chaîne de valeurs des métiers de la production de la ville, sans vouloir tout faire, mais en apportant des réponses. » D’autant que « lorsqu’un élu lance une concession d’aménagement, il a des idées sur ce qu’il veut, mais il attend d’un aménageur que celui-ci lui propose un projet global », souligne Maurice Sissoko.
« Influencer les promoteurs vers des nouvelles formes »
Tout le défi qui se pose aux SEM est, selon Pascal Popelin, directeur de Sequano, outil d’aménagement de la Seine-Saint-Denis, de savoir comment être capables de résoudre à la fois les sujets d’innovation (flux de circulation, îlots de fraîcheur, assainissement plus vertueux), de qualité des constructions (quel bilan carbone, quelle insertion dans l’environnement, quel travail pour dépolluer ?), de maîtrise des coûts, de densité et de respect des délais. « On attend de nous une hyper-professionnalisation avec une grande technicité liée à l’agilité que l’on peut trouver dans le secteur privé tout en demeurant au service de l’intérêt général », énonce ce dernier. Pour Christophe Richard, le rôle de la SEM est aussi « d’influencer les promoteurs vers des nouvelles formes », plus flexibles pour être en phase avec les attentes du marché. Sur la ZAC d’Ivry Confluences, à Ivry-sur-Seine, Sadev 94 incite les opérateurs privés à imaginer des unités tertiaires de plus petite taille (moins de 5 000 m2) permettant aux grands groupes de faire travailler des salariés sans qu’ils aient besoin de venir au siège et ainsi « éviter ces immenses mouvements pendulaires de l’est à l’ouest de Paris ». Pour relever tous ces enjeux, il faut pouvoir disposer d’un panel d’outils de manière à adapter la réponse à chaque circonstance.
La première réponse de ces sociétés d’économie mixte a consisté à créer des filiales de promotion immobilière : Sequano résidentiel en 2019, Citallios et SEM Grand Paris Sud Aménagement en 2020. Tout l’intérêt est de capter une partie de la valeur ajoutée des opérations qu’elles portent. « Plutôt que de socialiser les pertes et de privatiser les produits, nous faisons les deux », explique Maurice Sissoko. La stratégie de Citallios consiste à investir en fonds propres à hauteur de 20 à 30 %dans des opérations de promotion immobilière « en fonction des risques pris pour avoir du foncier et le rendre constructible ». « Cela a été bien accepté par les promoteurs parce que nous menons cette activité dans une filiale dédiée et en pratiquant leurs propres règles », prévient le dirigeant de Citallios qui interviendra toujours en co-promotion et restera minoritaire. En juin dernier, Citallios annonçait trois opérations réalisées pour 300 logements (18 000 m2 de surfaces).
Co-promoteur « d’utilité publique »
De plus, « ce co-promoteur “d’utilité publique” se pose en garant pour ses collectivités locales actionnaires d’un programme en phase avec leurs attentes et avec ce qui a été convenu initialement », ajoute Pascal Popelin. Sequano, qui a 11 projets en cours, livrera en 2021 une première opération de ce type portée avec Vinci Immobilier à Drancy (Seine-Saint-Denis). Face à la difficulté de maîtriser un foncier devenu de plus en plus rare et donc cher, plusieurs SEM envisagent de se doter de foncière dédiée. Citallios a déjà franchi le pas. Une opération a ainsi été conclue avec le rachat d’un montant de 175 millions d’euros en février 2021 du siège de Bic (3,8 ha) à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) dans le cadre d’un groupement avec BNP Paribas Real Estate. Chez Sequano, la décision fait l’objet d’une réflexion.
Pour faciliter le parcours résidentiel, les SEM s’inscrivent dans la démarche en plein développement initiée par les Organismes de fonciers solidaires (OFS). Mise en œuvre par des collectivités locales, celle-ci consiste à désolidariser la propriété du foncier de celle du bâti de manière à permettre à des classes moyennes d’acquérir leur logement, en général intermédiaire, en zone tendue à un coût inférieur à celui du marché. Ainsi, Citallios est monté à hauteur de 20 % au capital de l’OFS des Yvelines créé en avril 2021 qui a vocation à réaliser 450 logements en BRS (bail réel solidaire) par an. Sequano étudie les modalités de la procédure.
Enfin, ces SEM se positionnent, également par le biais de foncières, sur la gestion active des rez-de-chaussée des immeubles pour réduire la part de logement et y implanter des activités (commerces, services, artisanat). L’idée consiste à acquérir les locaux le temps que le porteur du projet rentabilise son activité.
Île-de-France Investissements et Territoires : une foncière régionale pour compenser le retrait des investisseurs privés
Créée par la région Île-de-France au printemps 2020 avec quatre partenaires*, la SEM patrimoniale Île-de-France Investissements et Territoires est une foncière qui a vocation à construire, réhabiliter ou acheter des actifs existants et atypiques (locaux d’activités et industriels, friches, tiers lieux, maison de santé) dans un objectif de maintenir l’emploi, relocaliser des activités ou encore contribuer à la réindustrialisation de la région. « Nous apportons une réponse à des entreprises mises en difficulté par la crise qui souhaitent vendre leurs murs pour retrouver des marges financières », souligne Olivier Pagezy, directeur général de la foncière régionale qui intervient en co-investissement avec divers partenaires publics ou privés, dont des SEM patrimoniales locales.
Ainsi, le cas de la première opération d’IDF Investissements et Territoires, réalisée en mars dernier à Nemours (Seine-et-Marne) avec la SEM du Pays de Fontainebleau pour racheter les murs de la société Lewis Industrie, en redressement judiciaire, et lui permettre de poursuivre son activité. Dotée de 10 millions d’euros de fonds propres, IDF Investissements et Territoires dispose d’une capacité d’intervention entre 80 et 100 millions d’euros qui pourrait être portée à 150 millions tant la demande est forte. « La crise ayant renforcé les inégalités territoriales, nous compensons depuis son apparition le retrait des investisseurs privés en intervenant là où le marché intervient peu ou plus », explique Olivier Pagezy.
La région Île-de-France (55,4 % du capital), la Caisse des dépôts (26,1 %), la Caisse d’Épargne (7,7 %) et le Crédit mutuel Arkéa (3,1 %).
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