DEPUIS PLUS DE 200 ANS, PARIS ET SON IMAGE DANS LE MONDE SONT FAÇONNÉES PAR LES CHEFS D’ÉTAT. EUX SEULS PEUVENT RASSEMBLER LES ÉNERGIES NÉCESSAIRES POUR QUE LA CAPITALE ENTRAÎNE TOUT LE PAYS POUR RÉSISTER À LA CONCURRENCE MONDIALE.
PAR DOMINIQUE MALÉCOT
Lorsque, le 26 juin 2007, six semaines après son élection à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy inaugure le troisième satellite du Terminal 2 de l’aéroport de Roissy–
Charles-de-Gaulle, il dépasse les discours de circonstance. Il explique ce qu’on peut faire de cette plateforme, des voies ferrées et des ports maritimes pour que la France demeure l’une des premières économies mondiales et le rôle moteur que l’Île-de-France doit retrouver dans cette perspective. Elle doit pour cela adopter sans tarder un schéma de développement ambitieux. Car la région parisienne vit encore largement sur l’élan des projets lancés quarante ans plus tôt par le général de Gaulle et le préfet Paul Delouvrier mais qui ne sont plus adaptés aux enjeux actuels. Georges Pompidou a certes poursuivi le mouvement avec les voies sur berge et Beaubourg mais les premiers chocs pétroliers ont contraint son successeur Valéry Giscard d’Estaing à adopter une démarche plus « conservatrice » avec le musée d’Orsay et plus écologique dans le schéma directeur de 1976.
Maintenir une dynamique culturelle touristique
Comme lui, François Mitterrand a imprimé sa marque sur Paris avec la Pyramide du Louvre ou encore la Très Grande Bibliothèque qui prendra son nom. Cela a permis de maintenir la Ville Lumière dans la dynamique culturelle et touristique qui demeure aujourd’hui l’un de ses grands atouts mais n’a pas suffi à remettre Paris dans la course que font les grandes villes mondiales qui tiennent les leviers de la mondialisation. Et Jacques Chirac s’est concentré sur son musée des Arts premiers… Dans un premier temps, l’appel de Nicolas Sarkozy, qui a nourri sa réflexion quand il était ministre de l’Aménagement du Territoire, passe inaperçu d’autant qu’il ne cadre pas avec l’image de président appréciant la « Jetset » qu’il a donnée les premiers jours de son mandat. Faute d’avoir été entendu par la région Île-de-France, il nomme en mars 2008 Christian Blanc secrétaire d’État chargé du Développement de la Région Capitale. En lien direct avec l’Élysée et doté de larges pouvoirs, il forme, au grand dam des grands corps de l’État, une petite équipe d’experts aguerris et de jeunes ingénieurs pour imaginer, en toute indépendance, le renouveau de la région parisienne.
L’émergence de nouvelles « villes-mondes »
Leurs travaux le confirment, Paris demeure l’une des quatre ou cinq « villes-mondes » identifiées par l’historien français Fernand Braudel en 1979 mais d’autres progressent et ses positions sont menacées. Réunissant industrie, recherche, enseignement supérieur, innovation, culture, finance et centres de décisions stratégiques pour les entreprises, ces villes-mondes jouent un rôle clé dans la mondialisation et permettent à leur pays d’en bénéficier au lieu de la subir.
Parallèlement, Christian Blanc rencontre les élus locaux. Pour la première fois, ils disposent d’une « ligne directe » – informelle – au plus haut niveau de l’État et des liens se nouent, nourrissent un projet. La méthode fonctionne et débouche sur la « loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris », qui donne naissance à la Société du Grand Paris. Détenue à 100 % par l’État, elle doit lui donner les moyens financiers et humains de relancer le développement de la région parisienne avec, notamment, la construction d’un métro de rocade et de 70 000 logements par an. Elle doit aussi faire émerger des pôles de développement de technologies porteuses d’avenir. La mise en réseau de ces pôles, une vraie originalité, confère un potentiel considérable au projet. Mais c’est en fait le minimum pour rester dans la course mondiale dominée par les États-Unis, l’Asie et le Royaume-Uni. Dès le départ, des arbitrages rendus et les votes du parlement limitent, dans les faits, le champ de la SGP à la construction du métro, au développement du Plateau de Saclay et à quelques opérations ponctuelles d’aménagement autour des gares.
Un projet attractif pour les investisseurs
Cependant, l’essentiel est préservé et le projet qu’incarnent Nicolas Sarkozy et Christian Blanc puis Maurice Leroy suscite un vif intérêt des investisseurs. Les 200 kilomètres de lignes de métro à construire attisent la convoitise de fonds souverains, notamment du Moyen Orient. Ils présentent toutes les garanties que recherchent les « fonds pour les générations futures » que constituent ces pays pour préparer « l’après-pétrole et l’après-gaz naturel ». Certains se disent prêts à investir 1 milliard de dollars.
Leur déception est grande d’apprendre que le nouveau métro n’est pas à vendre. Mais la confiance est là. Ils se rabattent aussi sur les projets immobiliers liés au métro. Souvent des opérations « modestes », d’une cinquantaine à une centaine de millions de dollars, et discrètes, plutôt en bordure des pôles de développement, pour ne pas payer trop cher et s’inscrire dans la durée. La suite est connue. Nicolas Sarkozy perd l’élection présidentielle de 2012 et le président François Hollande prend ses distances avec le projet. Il n’y a plus de pilote. Le Grand Paris tombe dans l’escarcelle du ministère du Logement et de l’Égalité des Territoires confié à l’écologiste Cécile Duflot qui l’a combattu avec acharnement au Conseil régional d’Île-de-France. Mais la cohésion de la nouvelle majorité à l’Assemblée nationale est à ce prix.
Un projet phare : les JO 2024
Le premier ministre Jean-Marc Ayrault lance des études pour réduire les coûts du projet et engage la réforme territoriale à laquelle avait renoncé son prédécesseur. En région parisienne, elle doit déboucher sur la création de la Métropole du Grand Paris. Beaucoup d’élus sont contre et, entre métro et Métropole, l’image du projet du Grand Paris est brouillée et ce dernier patine sérieusement. En 2014, le nouveau premier ministre Manuel Valls amende la réforme territoriale de son prédécesseur pour lever les blocages et tenter de rattraper le temps perdu pour la construction du métro et la relance économique qu’elle doit induire. Il s’appuie alors sur la détermination des élus locaux qui siègent au conseil de surveillance de la Société du Grand Paris et sur deux projets phares que sont alors l’Exposition universelle de 2025 et les Jeux olympiques de 2024. La candidature de Paris est retenue pour le second… ce qui « tend » un peu plus le calendrier de réalisation du métro dont certaines lignes doivent contribuer à l’exemplarité écologique de l’événement. Le dynamisme de Manuel Valls a évité l’enlisement du Grand Paris.
Centraliser les décisions
L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, en 2017, a été saluée par les investisseurs et la plupart des élus impliqués dans le Grand Paris. Convaincu, selon une bonne source, de l’intérêt de confier le Grand Paris à un interlocuteur unique pour centraliser les décisions et aller vite, il a su éviter l’erreur qui aurait consisté à reconstituer le secrétariat d’État chargé du développement de la Région Capitale. La page avait été tournée et le fragile équilibre auquel il était parvenu entre la droite et la gauche n’y aurait pas résisté. D’autant que les tensions étaient déjà importantes en Île-de-France et qu’il ne fallait pas « provoquer » les écologistes qui, après avoir obtenu l’abandon du projet d’aéroport nantais de Notre-Dame-des-Landes, ont reçu d’autres gages avec la clôture des dossiers du Terminal 4 de Roissy–Charles-de-Gaulle et d’EuropaCity. Comme si Emmanuel Macron avait fait sien l’adage selon lequel il vaut mieux avoir « la moitié de quelque chose que 100 % de rien ». Résultat, le projet se poursuit et les chantiers du métro avancent. La Société du Grand Paris est toujours recherchée par les investisseurs et ses émissions obligataires attirent les Green Bonds. D’autant que le métro, réalisé à 90 % en souterrain, est de nature à limiter l’étalement urbain et la pollution automobile tout en desservant enfinles quartiers les plus défavorisés de la région
parisienne.
À se demander si, en ne nommant pas de responsable du Grand Paris à son arrivée aux affaires, il y a quatre ans, Emmanuel Macron n’a pas choisi de prendre directement et discrètement le dossier en main. La rapidité avec laquelle ont été prises certaines décisions majeures peut en tous cas le laisser supposer. Déjà, avant lui, Louis-Philippe et Napoléon III avaient décidé de maintenir le rang de la France dans un monde dominé alors par l’Angleterre en incarnant la modernisation de Paris.
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