« Détecter, anticiper, agir et ne pas se laisser surprendre. » C’est par ces mots que le général Georgelin résume son action en tant que représentant spécial du président de la République et président de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris. En partie détruit par un incendie en avril 2019, l’édifice est reconstruit à l’identique grâce à la mobilisation de compagnons et d’artisans d’art français.
Propos recueillis par Fabienne Proux et Jacques Paquier
Quels faits marquants retenez-vous de la restauration de la cathédrale de Paris ?
Ce qui est exceptionnel reste l’incendie de Notre-Dame de Paris, le premier qu’elle ait connu en 850 ans d’existence. Ce qui a été frappant, c’est que tout le monde s’est senti concerné par ce sinistre. Cela signifie que quelque chose de fondamental a été touché. Notre-Dame occupe une place particulière dans le cœur des Français, c’est en cela que ce chantier est particulier. Il faut d’ailleurs rendre hommage à l’intuition du président de la République, dans la nuit du 15 au 16 avril 2019 : Emmanuel Macron a perçu que cet événement touchait la nation au cœur et que, par conséquent, il fallait prendre en main à son niveau la restauration de la cathédrale. D’où la mise en place d’une structure particulière pour conduire ce chantier dans des délais convenables, en cinq ans, sans naturellement faire aucune concession à la qualité des travaux et à la sécurité sur le chantier.
En quoi consiste votre mission ?
Mon premier travail a consisté à convaincre tout le monde sur le chantier que cet objectif était réalisable, atteignable et que nous y arriverions. Il a fallu une organisation extrêmement rigoureuse. Mon rôle est en réalité celui de leadership. Ceux qui doutaient n’avaient pas vocation à rester. On ne part pas à la guerre avec des soldats qui ne croient pas à l’objectif de la victoire.
Avez-vous utilisé des méthodes militaires ?
Tout à fait. J’ai importé les méthodes de l’École de guerre lorsque l’on étudie une opération, à savoir la théorie des modes d’action « amis » (MA) et des modes d’action « ennemis » (ME). Les MA regroupent tout ce qui nous est favorable et nous aide dans notre objectif, les ME sont tout ce qui s’oppose à la réalisation de cet objectif, par exemple, en ce qui concerne ce chantier, le Covid, les intempéries... J’ai fait mienne la devise de Lénine, « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », et mon rôle a consisté à trouver le chemin. La mobilisation autour de ce monument gothique que l’on restaure pour l’adapter à notre époque est réellement extraordinaire.
La mobilisation a été importante dès le lendemain du sinistre avec les donations. Cet élan de générosité est-il exceptionnel ?
Certainement. Dès la soirée du 15 au 16 avril 2019, François Pinault a pris l’initiative de donner 100 millions d’euros, ce qui enclenchera toute une chaîne de générosité conduisant au record absolu de la philanthropie en France et probablement en Europe, puisque nous avons récolté 846 millions d’euros. L’intégralité de cette somme sera utilisée pour les besoins du chantier. J’y veille. 150 millions ont servi lors de la phase 1 de sécurisation/consolidation (16 avril 2019/août 2021) et 550 millions à la phase 2, soit la période actuelle (septembre 2021/décembre 2024) qui va conduire à la restitution des parties disparues dans l’incendie (voûtes, flèche, grand comble) et à la réouverture de la cathédrale au culte et à la visite. Les 146 millions restants serviront à des compléments de restauration touchant des parties extérieures de l’édifice, hors les abords (parvis, square, jardins) qui incombent à la Ville de Paris.
Un autre niveau de mobilisation est celui des artisans français. En quoi ce chantier sert-il ces métiers d’art ?
Ce chantier permet très certainement de régénérer, remettre l’accent et booster les métiers d’art en France. Si 500 compagnons travaillent en ce moment sur l’île de la Cité, 500 autres sont investis sur tout l’Hexagone. Les 1 200 chênes, pour la flèche et les deux bras du transept, sélectionnés dans toutes les forêts françaises, ont été mis au format dans 45 scieries. En Normandie, en Anjou et en Lorraine, des entreprises construisent la charpente. Pour la restauration du grand orgue, ses 8 000 tuyaux répartis en 115 jeux ont été envoyés pour être nettoyés et restaurés dans trois ateliers de facteurs d’orgue en Corrèze, dans le Vaucluse et dans l’Hérault. Pour la première fois depuis leur pose, qui date pour les trois quarts du XIXe siècle, les 39 baies hautes (vitraux) ont été déposées pour être nettoyées. Huit ateliers de maîtres verriers en France et un à Cologne, en Allemagne, ont réalisé cette délicate tâche.
Reconstruisez-vous une nouvelle cathédrale ?
Nous reconstruisons à l’identique la cathédrale, telle qu’elle l’était le 15 avril 2019 pour ce qui est de son aspect extérieur. Nous reconstruisons à l’identique dans la forme et les matériaux, c’est la raison pour laquelle nous refaisons la charpente de la nef et du chœur, des deux bras du transept et de la flèche avec du bois de chêne massif, et que les toitures sont en plomb. Nous reconstruisons en bois, mais nous installons également un dispositif de sécurisation entièrement repensé, incluant un système de brumisation des charpentes, des fermes coupe-feu en acier, des caméras thermiques pour limiter le risque qu’un nouvel incendie ne se produise. À l’intérieur, l’édifice est en évolution permanente depuis 1163. Il appartient à l’archevêque de Paris de dire comment il souhaite organiser la cathédrale pour l’exercice du culte catholique. Il y aura un nouveau baptistère et un nouvel autel, des nouveaux ambon, cathèdre et tabernacle. Pour ce faire, des artistes contemporains ont été mobilisés.
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