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COMMENT REFONDER LA VILLE SUR ELLE-MÊME ?

FACE AU DÉFI CLIMATIQUE ET À LA RARETÉ DU FONCIER, LES ACTEURS DE L’INDUSTRIE IMMOBILIÈRE S’ORGANISENT POUR RECONSTRUIRE LA VILLE SUR ELLE-MÊME SUR LE TERRITOIRE DU GRAND PARIS. COUP DE PROJECTEUR SUR LES SOLUTIONS APPORTÉES EN MATIÈRE D’HABITAT ET D’IMMOBILIER DE BUREAUX.

PAR AURÉLIEN JOUHANNEAU


Avec 8 700 hab/km2 – et plus de 20 000 hab/km2 rien pour la Ville de Paris ! –, le Grand Paris demeure l’une des métropoles parmi les plus denses au monde. Reconstruire la ville sur elle-même devient, de facto, une nécessité absolue à l’heure où a sonné l’urgence climatique. Tant pour le logement que pour l’immobilier de bureaux. Pour embrasser ce nouveau paradigme de la fabrique de la ville, ses acteurs – investisseurs, promoteurs, aménageurs… – déploient des solutions pérennes, syno­nymes de création de valeur pour le territoire du Grand Paris. D’abord, tous les intervenants interrogés en conviennent : l’urbanisation des zones natu­relles est une pratique de l’ancien monde. « Nous partageons pleinement l’objectif Zéro artificialisation nette des sols (ZAN) fixé par la loi Climat & Rési­lience », explique Loïc Madeline, directeur général délégué de Sogeprom. « Dans le Grand Paris, nous disposons d’un terrain de jeu exponentiel en matière de bâti à transformer ou à créer autour des gares du Grand Paris Express, sans pour autant venir grignoter du foncier inutilement. » À titre d’exemple, la filiale de promotion immobilière de la Société Générale réhabilite un site industriel à Cergy, pour y déployer pêle-mêle différentes typologies d’habitat, des servi­ces publics, des commerces, des bureaux et un parking en silo en bois. « Ce projet adopte les codes de la ville du quart d’heure par sa mixité d’usages et son ouverture sur son environnement urbain », poursuit Loïc Madeline.


Bâtir bas carbone

Refonder la ville sur elle-même passe donc inévitablement par la reconquête de friches urbaines. En la matière, Espaces Ferroviaires, la filiale aménagement urbain et promotion de la SNCF, dispose d’un patrimoine foncier non négligeable. « À Paris intra-muros, nous avons 20 hectares en projet de reconversion pour un total de 300 nouveaux logements couplés, entre autres, à de l’activité économique et une offre culturelle », précise Fadia Karam, directrice générale d’Espaces Ferroviaires. Ces nouveaux quartiers en devenir – Ordener-Poissonniers (Paris 18e) et Les Messageries (Paris 12e) – font aussi la part belle aux espaces verts, au réemploi des matériaux in situ et aux mobilités douces. « Grâce à l’intelligence collective, nous devons être les garants d’une ville inclusive et bas carbone », stipule Fadia Karam. Bien qu’en dehors du périmètre du Grand Paris, l’ex-caserne Pion à Versailles va-t-elle aussi plonger dans le XXIe siècle sous le prisme de la cité-jardin ? « D’un site ultra bétonné, nous recréons un quartier de ville mixte et bas carbone, tourné vers la nature avec 60 % du projet dédié aux espaces verts et l’utilisation de matériaux biosourcés pour le bâti », témoigne Hélène El Aiba, directrice générale adjointe Île-de-France du pôle promotion d’Icade. Emmanuel Hermsdorff, directeur général Crédit Mutuel Aménagement Foncier, ajoute : « Si le recyclage des friches urbaines permet de préserver des terres de l’urbanisation et de loger des habitants dans un marché résidentiel sous tension, il est nécessaire d’en maîtriser tous les risques (pollution, plan local d’urbanisme…). Dans le cas contraire, l’opération peut déraper d’un point de vue financier.»


La ville à énergie positive

Dépasser l’objectif zéro carbone, certains acteurs, comme d’Elithis, en font leur cheval de bataille. Comment ? Grâce à la construction de tours résidentielles à énergie positive à l’instar de celle érigée à Strasbourg en 2018. « Nos idées en la matière ne sont pas nouvelles, mais personne n’a réellement eu le cran de les appliquer », confie Claire Cauchetier, directrice de la marque et du développement chez Elithis. À la fois investisseur-concepteur et promoteur, son groupe porte un programme de 100 tours de logement en France et en Europe, synonyme d’une suppression quasi-totale des facteurs d’énergie pour les ménages. « On ne peut pas imaginer bâtir le Grand Paris sans un immeuble de ce genre », poursuit Claire Cauchetier.

Toutefois, pour construire des logements neufs, tous les promoteurs du Grand Paris restent inquiets face à la pénurie de fonciers à bâtir. « Alors qu’il manque 700 000 logements en Île-de-France, nous faisons face à deux situations qui grippent la machine : des élus qui ne souhaitent pas de constructions nouvelles, d’une part, et les prix des terrains qui s’envolent, d’autre part », indique Olivier Frard, directeur du développement de Yuman Immobilier. Par ricochet, ce double phénomène entraîne une hausse des prix des appartements neufs. Parmi les promoteurs interrogés, tous se demandent jusqu’à quand cette situation va perdurer… « Sans compter avec l’entrée en vigueur de la RE2020 qui implique une hausse de 10 à 15 % pour produire un logement », précise Olivier Frard.


Le projet de reconversion de l’hôtel Crowne Plaza en programme résidentiel à Neuilly-sur-Seine par Icade.


Le projet d’immeuble 100 % réversible dans le quartier des Messageries à Paris 12e par Espaces Ferroviaires.


« DANS LE GRAND PARIS, NOUS DISPOSONS D’UN TERRAIN DE JEU EXPONENTIEL EN MATIÈRE DE BÂTI À TRANSFORMER OU À CRÉER AUTOUR DES GARES DU GRAND PARIS EXPRESS. »

LOIC MADELINE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DÉLÉGUÉ DE SOGEPROM


Réhabiliter plutôt que démolir

Pour reconstruire la ville sur elle-même, la réhabi­li­tation reste l’une des cartes maîtresses des profession­nels de l’immobilier. Un crédo sur lequel est présent Histoire et Patrimoine depuis 25 ans. « Nous inter­venons sur tout type de patrimoine à réhabiliter – qu’il soit militaire, religieux ou hospitalier – pour (re)créer des logements », explique Arnaud Baudel, directeur général au développement de la filiale du groupe Altarea. « Les élus locaux sont très sensibles à notre savoir-faire pour redonner une seconde vie à des bâtiments sans venir les démolir. » Opter pour cette pratique va permettre à Histoire et Patrimoine de réhabiliter et changer les usages de 6 des Tours Nuages imaginées par l’architecte Émile Aillaud dans les années 1970 à Nanterre. Sur le front du bureau, Covivio a fait de la restructuration/réhabilitation un de ses axes stratégiques. « Ce positionnement nous permet à la fois de prendre en compte les enjeux climatiques et de proposer des lieux de travail inspirés des codes de l’hôtellerie, en adéquation avec les atten­tes des utilisateurs », glisse Olivier Estève, directeur général délégué de la foncière. Sur le terrain, cela se traduit par des opérations de « régénération urbai­ne », à l’exemple de So Pop à Saint-Ouen. Tout en conservant l’enveloppe historique de l’ex-siège de Citroën (20 000 m2), Covivio a créé 12 500 m2 en superstructure et développé 4 000 m2 d’espaces extérieurs.


Transformer les bureaux en logements

Autre solution plébiscitée par les élus pour refonder la ville sur la ville : transformer l’usage d’un immeuble obsolète en logements. Un crédo où nombre d’investisseurs sont déjà présents à l’instar d’Icade avec AfterWork. « Cette offre développe toutes les compétences nécessaires à la transformation d’un actif, du sourcing à son financement en passant par son approche décarbonée », détaille Caroline Vaubourgoin, directrice générale adjointe tertiaire Île-de-France d’Icade Promotion. Avec cette démar­che holistique et généraliste, la foncière porte un programme résidentiel en lieu et place de l’hôtel Crowne Plaza à Neuilly-sur-Seine. Avant de se lancer, Icade a d’ailleurs passé au crible les actifs de bureaux de plus de 5 000 m2 construits avant 2000, susceptibles d’être reconvertis en logements. Résultat ? « On a dénombré entre 7 et 8 millions de m2 à transformer en Île-de-France, dont 2,5 millions dans Paris intra-­muros », relate Caroline Vaubourgoin. À titre de comparaison, « seulement » 590 000 m2 tertiaires sont devenus des logements dans la Capitale entre 2020 et 2021. Cet exercice – complexe d’un point technique et financier –, Covivio s’y emploie depuis plusieurs années. « Dans le Grand Paris, nous transformons d’anciens actifs de bureaux obsolètes pour y dévelop­per près de 500 logements comme à Bobigny ou à Saint Germain-en-Laye », précise Olivier Estève. Pour donner une « réelle » cohérence à ce type de reconversion, tous les spécialistes interrogés s’accor­dent pour demander une réflexion à l’échelle métropolitaine.



Réversibilité dans le temps

Au-delà de la transformation du bâti existant, les acteurs de la fabrique de la ville se penchent sur la… réversibilité des futurs édifices. « Aujourd’hui, c’est ni plus ni moins le principal défi à relever », estime Loïc Madeline. Si, dans sa phase héritage, le Village des athlètes des Jeux Olympiques de Paris montrera la voie en la matière post-2025, Espaces Ferroviaires s’y emploie déjà aux Messageries, avec un projet novateur. « Cet immeuble en ossature bois et en pierre, qui accueillera des bureaux en premier usage, sera 100 % réversible en logements grâce à sa conception architecturale », assure Fadia Karam. Selon la directrice générale d’Espaces Ferroviaires, il est primordial de sanctuariser cette « forme d’élasticité » pour un édifice afin « mieux » anticiper les futurs besoins sociétaux. « Grâce à cette approche, nous nous inscrivons dans les clous de l’économie foncière et de la sobriété écologique sans dogme », conclut-elle. Un discours qui devrait sans nul doute séduire plus d’un investisseur, dans le Grand Paris, en quête de valeurs financières pérennes et vertueuses.



L’immeuble de bureaux So Pop à Saint-Ouen par Covivio.


« ON A DÉNOMBRÉ ENTRE 7 ET 8 MILLIONS DE M2 À TRANSFORMER EN ÎLE-DE-FRANCE, DONT 2,5 MILLIONS À PARIS INTRA-MUROS. »

CAROLINE VAUBOURGOIN, DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE TERTIAIRE ÎLE-DE-FRANCE D’ICADE PROMOTION

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