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COMMENT FAIRE LE GRAND PARIS DES PIÉTONS ?

LE TRIOMPHE DU VÉLO, OBSERVÉ AVEC LA PANDÉMIE ET LES CORONAPISTES, CACHE DE MOINS EN MOINS LE RETOUR EN GRÂCE D’UN AUTRE MOYEN DE DÉPLACEMENT UNIVERSEL, VIEUX COMME LE MONDE, MAIS PEU CONSIDÉRÉ : LA MARCHE. POURTANT, PREMIER MOYEN DE DÉPLACEMENT EN ÎLE-DE-FRANCE (ENQUÊTE GLOBALE TRANSPORT 2020), LA MARCHE À PIED A LONGTEMPS ÉTÉ INVISIBLE DANS LES STATISTIQUES OFFICIELLES. CEPENDANT, LÀ AUSSI, LES TEMPS CHANGENT, POUR NE PAS DIRE QUE LA ROUE TOURNE.

PAR VIANNEY DELOURME ET RENAUD CHARLES D’ENLARGE YOUR PARIS



Si les grèves grand-parisiennes de l’hiver 2019 ont marqué la consécration du vélo, elles ont aussi été le « 1995 » de la marche à pied dans le Grand Paris. Les images « d’embouteillages piétons » aux heures de pointe sur les grands axes de la Capitale, aux abords des grandes gares parisiennes et aux portes de Paris, symbolisent cette émergence.

Depuis, dans le cadre du déconfinement post-Covid-19, le très officiel Cerema, centre d’études lié aux ministères des Transports et de l’Écologie, a appelé à « dimensionner plus généreusement les espaces dédiés aux piétons » et à « faire de la marche la nouvelle “petite reine” des déplacements ». On a aussi pu lire dans la presse des éditoriaux rappelant les vertus de la marche, présentée comme un moyen efficace de lutter contre les effets sanitaires de nos vies ultra-sédentaires ou encore de se déplacer sans produire de CO2. À ces différents aspects, il faut en ajouter un autre, plus social : la marche est gratuite et donc universelle, et démocratique.


En ville, la signalétique a été pensée pour les voitures, pas pour les piétons


Tout cela suffit-il à garantir à la marche un avenir radieux ? Ce n’est pas si simple : la signalétique urbaine a été pensée pour les voitures et l’espace public est dominé par les automobilistes, qui pourtant ne représentent que 35 % des déplacements quotidiens en Île-de-France (les marcheurs représentent, eux, 40 % des déplacements et les usagers des transports en commun 22 %). C’est la vitesse de la voiture qui continue de donner son rythme aux autres déplacements. Et tous les territoires ne sont pas égaux dans le Grand Paris. Si le cœur métropolitain reste relativement simple d’usage pour les piétons, ce n’est pas le cas de certains territoires marqués par l’héritage industriel du XIXe siècle et celui du tout automobile du XXe siècle. C’est en banlieue que se trouvent toutes les grandes servitudes nécessaires à la métropole parisienne : autoroutes, voies ferrées, aéroports, cimetières, zones logistiques et commerciales, ports, cimenteries, déchetteries, centres d’incinération et de traitement des eaux… coupent la vue, bloquent le passage, contraignent les piétons à parfois faire des kilomètres de détours, marchant dans un contexte souvent dominé par la circulation automobile et marqué par de nombreux désagréments (bruit, pollution, absence d’arbres pour se protéger de la chaleur, trottoirs étroits, signalétique urbaine exclusivement dédiée aux automobilistes…) Autant de situations qui favorisent le sentiment d’insécurité, particulièrement pour les femmes, et dans tous les cas rendent la marche pénible.


En grande couronne, les trottoirs disparaissent parfois en sortie d’agglomération. Pourquoi si peu de départementales sont-elles bordées de trottoirs lorsqu’elles relient des zones denses distantes de peu de kilomètres ? Parcourir les routes du Grand Paris et d’Île-de-France avec Google Maps à la recherche d’itinéraires piétons est un exercice instructif. De là, on pourra se questionner pour savoir s’il n’y a pas de piétons à cause de l’absence d’aménagements dédiés ou si l’absence d’aménagements est justifiée par l’absence de piétons ? Les habitués de la randonnée connaissent la déception de voir bien souvent leurs chemins balisés coupés par deux ou quatre voies sans passage piéton… Or, la randonnée n’est-elle pas un outil précieux pour conserver le paysage « ouvert » et développer le tourisme ? Ce tour d’horizon serait incomplet s’il ne prenait pas en compte les chemins ruraux, héritage d’une région qui était, il y a deux générations, largement agricole. Aujourd’hui prisés le week-end par les joggeurs, les randonneurs et les familles, ils servent en semaine de pistes cyclables permettant aux habitants de rejoindre les commerces de la commune voisine ou la gare la plus proche sans prendre la voiture.


Pourtant, il n’existe aucune carte régionale (ni nationale) de ces chemins ruraux et nombre d’entre eux disparaissent chaque année, avalés par des lotissements ou détruits par des exploitants agricoles qui ont le droit de les faire disparaître sur simple déclaration en mairie. Or, dans la perspective de la transition climatique et de la « décarbonation » de la mobilité, ces chemins « déjà-là » ne représentent-ils pas un atout important ?


Promouvoir le déplacement des piétons, voire leur retour, et aussi rendre plus “urbains”


certains lieuxPromouvoir le déplacement des piétons, voire leur retour, nécessite de regarder autrement l’espace urbainet périurbain en faisant baisser la pollution et le bruit, en améliorant la qualité des trottoirs et en les végétalisant pour rendre supportables ces étés, voire ces printemps, de plus en plus chauds. Il s’agirait aussi de rendre plus « urbains » certains lieux – avec de l’éclairage, de la signalétique – pour que tous et surtout toutes puissent s’y déplacer. Pour favoriser les mobilités piétonnes, les difficultés sont nombreuses mais les impératifs sociaux, économiques et écologiques associés à la marche sont eux aussi d’importance.


Et les opportunités sont là ! Les années 2020 vont voir se développer dans le Grand Paris et en Île-de-France des projets urbains et de transport qui seront autant d’occasions de repenser la place des piétons : construction du réseau du Grand Paris Express et des 68 quartiers de gare, développement de la ligne E du RER vers Mantes-la-Jolie et modernisation du réseau des transports en commun régional. Sans oublier les JO qui se dérouleront partiellement dans des territoires marqués par ces fractures urbaines si défavorables aux piétons. Une partie de l’héritage des JOP 2024 réside peut-être dans les aménagements piétonniers qui seront engagés. En tout cas, reste une certitude à l’aune de la sortie de l’épisode pandémique de 2019-2021 : la révolution piétonne ne fait que commencer. Et elle pourrait même contribuer à rendre plus résilient le Grand Paris.


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