LA DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L’ATELIER PARISIEN D’URBANISME (APUR), DOMINIQUE ALBA, ET SON HOMOLOGUE DE L’INSTITUT PARIS REGION, FOUAD AWADA, CROISENT LEURS REGARDS SUR L’AMÉNAGEMENT DE LA RÉGION CAPITALE, MARQUÉE PAR LA CRISE PANDÉMIQUE ET LES MULTIPLES TRANSFORMATIONS À L’ŒUVRE.
Comment bien vivre en Île-de-France, alors que la pandémie semble s’éloigner ?
Dominique Alba : Tous les chiffres indiquent que l’Île-de-France a été plus impactée que le reste de la France par la pandémie, et Paris dans des proportions encore supérieures. Logique, puisque des secteurs d’activité à très fort taux d’emploi dans le cœur de l’agglomération parisienne ont été les premiers impactés, le commerce, la culture ou le tourisme. Au cœur de l’agglomération, des situations de sur-occupation ont provoqué une mortalité accrue. Mais hors Covid, on peut dire que l’on vit bien en Île-de-France, y compris en matière de santé et d’espérance de vie, grâce à un très bon réseau de soins, de santé, d’éducation. Dans ce contexte, l’Apur a continué à jouer son rôle, à documenter le réel et à partager cette documentation avant de poser des jalons qui vont permettre de réorienter des politiques publiques, pour répondre aux questions que cette crise a posées.
Fouad Awada : Au cours des deux ou trois années qui viennent, nous serons confrontés autant aux effets positifs que négatifs de cette crise. Avec une prise de conscience des bienfaits de la nature et des méfaits d’une densité parfois mal pensée par le passé. Nous sommes face à une vraie crise urbaine, dans les grands pôles d’emploi, dont l’hyper-centre de Paris. Nous allons devoir faire avec plus de précarité et d’instabilité. Mais il faut également prendre en compte les effets positifs que nous offre le développement fulgurant du distantiel. Même s’il est probable que, d’ici trois à cinq ans, Paris recouvre sa splendeur et que les gens souhaitent retrouver leurs bureaux...
Comment anticipez-vous les effets de l’essor du télétravail ?
DA : Nous avons mis en place un observatoire de l’économie parisienne, en trois volets dont un volet prospectif, avec comme questions principales : Le financement de la ville à l’horizon de 2040 ? Comment vont évoluer les notions de travail et d’emploi ? Quelles relations entre l’attractivité et les inégalités ? Notre fonction n’est pas tant de réaliser des prévisions que d’étudier, dans l’espace qui s’est ouvert en 2020, les tendances marquantes, dont les élus pourront ensuite se saisir. Par exemple, l’essor du télétravail peut réduire la pression sur les transports, faisant diminuer l’importance des heures de pointe, et donc le coût des infrastructures. Il faut ainsi se demander, à l’aune de ce que cette crise nous a appris, quelles politiques publiques il est possible de mettre en place pour aller vers un système urbain plus durable et où il fait bon vivre.
FA : L’Institut Paris Region mène un travail pour localiser les lieux d’habitat des actifs télétravaillant. Nous faisons l’hypothèse que les lieux de résidence des télétravailleurs, des gens qui téléconsultent, qui achètent, enseignent, ou apprennent à distance, vont bénéficier d’une opportunité unique, nouvelle, qui est celle d’un développement local qui commencera peut-être d’une manière modeste, avec quelques nouveaux commerces puis des équipements correspondant à une aspiration profonde de « vivre local ». Cela contribuera au développement en petite couronne de la ville du quart d’heure qui suppose la présence, durant la journée, d’une population de résidents suffisamment nombreuse.
DA : À propos de ville du quart d’heure, il faut dire que 75 % des Métropolitains ont d’ores et déjà accès, aujourd’hui, à un commerce de proximité à 5 minutes à pied de leur domicile. Depuis 15 ans, un grand nombre d’élus ont rénové leur centre-ville et de nouveaux dispositifs de requalification des centres-urbains sont apparus récemment. La crise pandémique a révélé des quartiers d’habitat très vivants et le drame des quartiers de bureaux, qui sont devenus des quartiers d’obsolescence programmée. Avec de vraies questions pour les collectivités, qui se demandent comment les réinvestir. L’Apur a réalisé une étude sur le taux d’usage des bâtiments à travers leur consommation d’eau potable. Beaucoup de bâtiments avaient, durant le confinement, un taux d’occupation égal à zéro. On peut donc se demander quelle est la valeur d’un actif dans une ville dense, qui voit chuter son taux d’occupation dans ces proportions en cas de crise.
La transformation de bureaux en logements est-elle la solution ?
FA : Le principal handicap des transformations de bureaux en logements réside dans l’existence d’une fiscalité différenciée, qui n’incite guère leurs gestionnaires à renoncer aux bureaux. Mais un actif tertiaire durablement vacant oblige les propriétaires à rechercher des solutions. Dès lors, la mixité des fonctions, mêlant hôtels, habitations et bureaux, peut être une solution, même si elle ne peut s’appliquer partout, par exemple pas dans des zones d’activités sans autres aménités. Je pense que le bureau n’a néanmoins pas dit son dernier mot, car les gens ressentent aussi le besoin d’y venir travailler.Les impératifs de la transition écologique rebattent-ils profondément les cartes ?
FA : Désormais, l’urbanisme et l’aménagement du territoire ne peuvent plus se concevoir sans prendre en compte cette dimension. C’en est même devenu le principal déterminant, d’où cette trilogie lancée par la Région pour un schéma directeur révisé, le Sdrif-e, qui soit ZAN (zéro artificialisation nette), ZEN (zéro émission nette) et circulaire. Le ZAN constitue une trajectoire, il faut y arriver, même si elle provoque d’ores et déjà des levées de bouclier. Il faut reconstruire la ville sur la ville, tout en recyclant au maximum les gravats et matériaux déconstruits. Construire ainsi n’entraîne pas nécessairement une montée des prix. Si les coûts de la construction devaient monter, les charges foncières devraient s’équilibrer pour avoir des prix de sortie acceptables. Nous allons néanmoins être confrontés à une compétition extrêmement forte sur l’usage du foncier existant : une partie croissante devra être laissée en pleine terre, tandis que l’essor du e-commerce, par exemple, engendre une pression de plus en plus forte sur des zones dédiées à la logistique. Et les exigences d’un Sdrif-e ZAN, ZEN et circulaire ne doivent pas faire oublier que les départements limitrophes pourraient être un terrain de jeu beaucoup plus libre pour les différents opérateurs.
DA : Une solution réside dans le fait d’entrer sur ces questions par les usages. Car il existe un stock de mètres carrés considérable dont personne n’a aujourd’hui la connaissance précise. Le foncier, ce n’est plus une terre nue, c’est un tout. À Paris, c’est un toit et un mur, qui peuvent constituer une ressource solaire pour le premier et végétale pour le second. La programmation ne doit plus s’effectuer sur la base de surfaces exprimées en mètres carrés mais à partir de situations dont on va essayer de tirer le plus de profit, dans le sens de l’intérêt général. Le monde de l’immobilier, qui raisonne toujours avec des ratios de rentabilité au mètre carré, va en effet devoir s’adapter. Tous les acteurs sont conscients de la nécessité de changer de système à l’instar de l’exemple de la construction bois, que les majors du BTP sont en train d’intégrer parmi leurs offres.
Pourquoi faut-il, selon vous, relativiser la crise du logement ?
DA : Entre 2015 et 2019, 45 000 logements par an ont été produits au sein de la Métropole du Grand Paris, qui a connu véritablement une période de surchauffe. Et en même temps, 10 % des logements, soit 360 000 unités, sont vides ou inoccupés, soit 10 ans de production. Il y aurait donc une utilité collective à remettre sur le marché un bâti qui n’est pas utilisé comme il faudrait.
FA : Cela est vrai pour l’ensemble de l’Île-de-France. En 2018 et 2019, jusqu’à 85 000 logements par an ont été mis en chantier. La question n’est pas tant quantitative que qualitative, ainsi pour les logements sociaux que l’on ne parvient plus à financer dans des proportions suffisantes ou encore la question de la ségrégation sociale qui demeure irrésolue. Une aspiration très forte se fait également jour, suite à la crise sanitaire, pour des jardins ou du moins des balcons et des espaces végétalisés. Cela peut modifier considérablement l’offre des promoteurs.
Quel est le sens de la démarche « Vitalisation des quartiers de gare » ?
DA : « Vitalisation des quartiers de gare », démarche initiée par le préfet de la région Île-de-France, poursuit un objectif relativement simple : le Grand Paris Express n’a pas été précédé d’un document de planification dédié. Or, nous devons tirer le maximum de bénéfices collectifs de l’avènement de ce réseau de réseaux. Il faut aboutir, par capillarité, à diffuser, le plus loin possible, les bienfaits de son arrivée sur le territoire le plus vaste possible.
Alors qu’un nombre croissant de personnes vont au moins partiellement télétravailler, la question des rabattements vers les gares en mode doux prend une acuité particulière, pour rendre attractif le plus large territoire. « Vitalisation des quartiers de gare » est un des outils qui pourraient permettre de le faire, en attirant l’attention sur la mobilité la plus fine : donner la possibilité à l’usager de marcher. Demain, 95 % des personnes seront à moins de 2 kilomètres à bicyclette d’un mode de transport lourd. Au GPE, il faut ajouter les tramways, les extensions de métro, les bus à haute qualité de service ou les voies de bus sur les autoroutes. La révolution des transports, en train de s’installer en Île-de-France, est colossale.
FA : La mise en service du GPE en 2025 signera réellement la naissance du Grand Paris. Demain, on vivra à la parisienne en petite couronne. Quant à la grande couronne, une étude récente de l’Institut Paris Region a montré que 22 % de ses habitants seront à moins de 30 minutes d’une gare du GPE et auront accès en moins de 30 minutes au tiers des emplois de toute l’Île-de-France. C’est dire si la portée de cette infrastructure circulaire va dépasser les limites de la MGP.
DA : Il semble important d’avoir une vision généreuse de ce qui est en train de se passer et d’installer de nouvelles échelles de valeur différentes de celles qui trop souvent de fait ne concernent qu’un tout petit nombre de personnes. Si l’on dit que la promotion immobilière ou les acteurs de l’immobilier sont malheureux dans le Grand Paris, je ne vois pas pourquoi ils tiennent à y rester aussi présents. Aujourd’hui, on construit en moyenne 7 millions de mètres carrés au sein de la Métropole du Grand Paris. C’est sans doute le marché français le plus attractif. À des prix de vente, quel que soit l’endroit où l’on se situe, qui permettent de couvrir les frais. Un marché, somme toute jusqu’à présent assez confortable, est en train de se modifier. La question à se poser, dans le contexte actuel, est la suivante : lorsque l’on agit, que l’on aménage ou construit, qu’apporte-t-on à ce qui est déjà là ? Mais aussi : quelle est ma valeur ajoutée au-delà de mon bilan d’opération ? Qui va payer la transformation des quartiers d’affaires qui ne fonctionnent plus et qui ont largement enrichi ceux qui les ont bâtis ? C’est la collectivité, et donc chacun d’entre nous.
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