top of page

Après les JOP, la page blanche ?

La flamme des Jeux Olympiques et Paralympiques vient de s’éteindre, tournant la page d’un événement à la fois attendu et redouté dans un contexte de morosité et de tension aux plans national et international. Au terme des festivités, Nicolas Bauquet, directeur général de l’Institut Paris Région, invite à réagir, face notamment à ce qu’il appelle « une forme d’incertitude collective », et à « écrire une nouvelle page de l’histoire de notre territoire »

Propos recueillis par Vianney Delourme.




Les Jeux olympiques nous ont tenu en haleine pendant des années. Il fallait recevoir le monde et que ce rendez-vous soit celui de l’excellence française. Sans parler du contexte géopolitique, du défi de l’organisation... C’est un événement énorme et hors norme qui a absorbé toute l’attention, l’énergie et peut-être l’imaginaire de ceux qui pensent la ville et de ceux qui pensent le Grand Paris. N’y a-t-il pas maintenant le risque d’un passage à vide post-olympique ?


Si passage à vide il y a, il a déjà commencé avant les Jeux olympiques. J’ai été en effet frappé parle contraste entre une mobilisation très forte de tous les grands acteurs, avec des réalisations très importantes, et un déficit d’enthousiasme, voire un réel scepticisme du grand public et des médias, avant l’événement. Notre difficulté à nous emparer des Jeux en tant que grande métropole mondiale, et même en tant que nation, est le symptôme d’un flottement qui nous invite à réagir. Ce scepticisme, je le vois comme le signe d’une crise de notre rapport avec le monde, et on est là vraiment au cœur de la question du Grand Paris, qui a été pensé pour être un lieu à la fois de la compétition et de l’affirmation dans le concert des métropoles.


Une ambition qui renvoie au « moment Sarkozy » du Grand Paris, il y a 15 ans...


Exactement. Le Grand Paris est alors pensé comme la future plateforme d’un pays dans un monde de plus en plus concurrentiel et ouvert. Bref, un projet clef pour pouvoir se maintenir dans le jeu mondial. Or, le discours négatif ou désabusé sur les JOP 2024 est pour moi le signe d’une interrogation sur le rôle que l’on veut jouer, sur la place que l’on a ou que l’on veut avoir dans le monde. En 2024, on reçoit le monde, mais on ne sait pas forcément quoi lui dire. On peut envisager que la crise est double : pourquoi se projeter dans le monde, qu’est-ce qu’on a à lui dire ? Et est-ce que le Grand Paris et l’Île-de-France sont bien un tremplin pour le pays ? Ce qui me frappe beaucoup, c’est qu’on ne sait plus répondre à la question de savoir ce qu’on a à faire dans le monde. C’est donc là qu’est notre défi : retrouver l’énergie et l’ambition du projet initié il y a 15 ans.


Quelles sont les racines de cette crise, selon vous ?


Cette interrogation profonde intervient aussi parce qu’il y a un moment de remise en question de la mondialisation, à la suite du Covid, c’est-à-dire la globalisation d’une pandémie aux conséquences géopolitiques, économiques, sociales, sanitaires et psychologiques immenses, et alors que le dérèglement climatique, dont on prend de plus en plus la mesure, est lui aussi associé à la globalisation de l’économie. Même si l’organisation des Jeux olympiques a été plutôt exemplaire d’un point de vue de l’empreinte écologique, il n’en reste pas moins que cette grande messe de la globalisation a perdu une partie de son sens. On a donc de bons motifs d’interrogation sur la raison d’être d’un tel événement. En revanche, il faut, sans hésiter une seconde, faire face aux défis de notre temps, leur tourner le dos n’a aucun sens et c’est en cela que je suis préoccupé par cette forme d’incertitude collective que je viens d’évoquer. Le monde se transforme, que nous le voulions ou non, par l’effet du changement climatique ou par celui de l’intelligence artificielle, par les mouvements de personnes, de biens et d’informations. Et cela, il ne faut surtout pas renoncer à le comprendre, ni à y répondre collectivement, pour faire face à nos réalités sociales, à l’état des banlieues, à la concurrence internationale, aux difficultés de la réindustrialisation.


À la suite du Covid, on a justement connu un épisode de remise en cause de la métropolisation du territoire...


On doit absolument travailler la question de l’attractivité par la qualité de vie, mais on a beaucoup parlé, peut-être un peu vite, du départ des cadres vers la province. Ce qui est sûr, en revanche,c’est que l’imaginaire a en partie déserté le cœur métropolitain francilien, l’envie d’y vivre s’est peut-être effritée. Le coût du logement, le temps passé dans les transports en commun, l’inflation et l’augmentation des prix des biens et des services, le besoin de plus en plus important de vert... Tout cela n’est pas une mode passagère. Pour autant, cela ne définit pas une politique économique pour la première région européenne en termes de richesse. La question à laquelle nous devons répondre, c’est de savoir comment on continue à créer de la richesse dans le Grand Paris et en Île-de-France. Un projet métropolitain n’a de sens que s’il est conquérant. On n’est pas obligé d’être optimiste sur le monde tel qu’il va, mais il faut avoir la conviction qu’au niveau individuel et collectif, on va faire la différence et écrire une nouvelle page de l’histoire de notre territoire.


2024, c’est aussi une étape importante de la réalisation du projet métropolitain, avec notamment toutes les grandes opérations d’infrastructures de transport en commun.


Oui, en effet, ces projets structurants sont en train de se mettre en place et la tâche qui nous attend est immense, c’est la responsabilité de faire réussir et de faire perdurer toutes ces réalisations.Nous devons faire fructifier et fonctionner d’énormes investissements publics, alors que l’on sait que l’argent justement va être de plus en plus rare et cher. Si l’on revient aux Jeux olympiques, un des grands défis dans cette période d’héritage, c’est la transformation de la Seine-Saint-Denis. C’est un défi social énorme. Tout cela va dépendre d’une mise en œuvre très concrète, très patiente, très humble de politiques publiques qui seront peut- être moins spectaculaires que les grands projets, mais qui sont tout aussi nécessaires. D’ailleurs, je trouve passionnant que l’Institut Paris Region, en déménageant à Saint-Denis, au pied de la tour Pleyel, participe à cette dynamique. L’intérieur du périphérique, c’est fini, il faut passer à la suite de notre aventure.


Le Tour Piéton du Grand Paris. À Nanterre près du chantier de la gare EOLE.


Justement, quand on casse, quand on efface les barrières physiques entre des territoires, il faut créer, entre ces derniers, un lien politique, social, culturel et économique...


Relier des territoires, cela veut dire que l’on ne peut plus en ignorer aucun. Il y a, à ce propos, un exemple qui me tient à cœur : c’est celui de Sciences Po, même s’il traverse des crises importantes depuis quelques années. Je pense au grand projet de Richard Descoings et, d’une certaine manière, ce qu’il a fait de Sciences Po est emblématique de ce que l’on doit faire en Île-de-France et dans le Grand Paris. Quand il est devenu directeur de cette institution parisienne, elle était menacée par l’insignifiance, par la marginalisation dans un monde globalisé et plutôt anglo-saxon. Il en a fait un lieu d’attraction mondiale. Il y a aujourd’hui 15 000 étudiants dans cette université, dont la moitié sont internationaux, ils viennent du monde entier étudier dans le cœur de Paris. La question qui se pose à nous, c’est comment on invente de nouvelles attractivités et comment ces nouvelles attractivités mobilisent toutes les énergies et tous les talents, y compris dans les territoires qui paraissent exclus de ces dynamiques mondiales et métropolitaines.

Comments


Commenting has been turned off.
bottom of page