À la fin des années 30, les autorités départementales de la Seine décident de prolonger le métro en dehors des limites de la capitale. Un projet ambitieux qui aura demandé près d'un siècle.

Le 13 juin 2024 fera date dans l’Histoire des transports parisiens. Pourtant, ce qui s’est passé a eu peu d’écho dans les médias, qui ont surtout relevé la mise en service, ce jour, de l’extension à Rosny Bois Perrier de la ligne 11. Or, la portée de cet événement est bien plus grande, puisqu’il marque la réalisation (enfin) complète du programme des extensions du métro décidé en... 1928. Il aura donc fallu 96 ans pour que l’ensemble des 15 prolongements envisagés alors soit intégralement réalisé. À la toute fin du XIXe siècle, la Ville de Paris, après 50 ans de bataille avec l’État et les grandes compagnies de chemins de fer, obtient enfin la liberté de construire son métro. Ce réseau, qui est l’un des plus denses du monde avec ses stations très rapprochées, commence à être opérationnel à partir de juillet 1900 pour l’Exposition universelle. Voulu par la Ville, il est aussi intégralement à sa charge et ce sont ses ingénieurs, le célèbre Fulgence Bienvenüe en tête, qui en assurent la construction. L’objectif est de réaliser le plus rapidement possible une couverture quasi complète de l’ensemble des quartiers de la Capitale. S’il est exploité en concession par la CMP, la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris, c’est bien la Ville qui définit le tracé des lignes et l’implantation des stations. On comprend donc assez facilement que ce réseau se heurte alors à une fron- tière infranchissable, les limites de la Capitale.
Un plan d’extension finalisé en 1929
Du reste, pourquoi Paris financerait-elle un métro pour desservir d’autres communes ? Il existe d’ailleurs d’autres réseaux de train, de tramway et d’auto- bus qui s’en chargent parfaitement. Rappelons qu’à cette époque, tous les modes de transport – train, tramway, autobus, métro et bateaux sur la Seine – sont en concurrence. Pas de pass Navigo bien sûr, ni de régulation au sens où on l’entend aujourd’hui. De fait, le métro fait un peu place nette dans la Capitale, laissant les autres modes dans des conditions économiques souvent délicates. La Première Guerre mondiale, qui ruine littéralement le pays, aggrave encore la situation financière d’un grand nombre de compagnies, en particulier pour les tramways répartis en sociétés nombreuses et d’importance inégale. À partir de 1921, le département de la Seine reprend directement en main l’exploitation des transports de surface, bus, tramways et bateaux, placés sous l’égide de la STCRP, la Société des transports en commun de la région parisienne.
Prolonger les lignes devient une nécessité
Et le métro dans tout ça ? Si la situation est sérieuse en raison d’une inflation galopante et d’un régime de concession qui n’est plus adapté, ce n’est pas encore la faillite. La CMP se rapproche tout de même de son concurrent le Nord-Sud apparu en 1910, avec lequel un accord de fusion est approuvé à compter de 1930. La reprise en main directe de l’exploitation par le département de la Seine crée pourtant un précédent qui a bientôt des conséquences pour le métro.
La situation sociologique, démographique et bien sûr économique ne permet plus de raisonner au seul niveau parisien. De nombreux habitants de la Capitale ont quitté la ville pour s’installer en banlieue où sont d’ailleurs concentrés de nombreux emplois. Le métro qui s’arrête aux portes de Paris ne peut plus les ignorer. Prolonger les lignes qui venaient buter sur les fortifications devient une nécessité, alors que l’on détruit la muraille censée protéger Paris.
En 1928, le principe du prolongement en banlieue du métro est enfin arrêté. Le plan mis au point par le département prévoit le prolongement de 15 sections de lignes qui s’arrêtent alors aux limites de Paris. Finalisé en 1929, le plan d’extension est tout de suite mis en chantier. À cette époque, et malgré des moyens que l’on jugerait aujourd’hui rudimentaires, le métro se construit à grande vitesse. Les trois quarts du ré- seau que nous connaissons aujourd’hui ont été ouverts avant 1939. À ce rythme-là, pendant que les chan- tiers se poursuivent dans la Capitale pour desservir de nouveaux quartiers, on peut espérer boucler ce plan d’extension assez rapidement, une quinzaine d’années peut-être, puisqu’il ne s’agit que d’ajouter une ou deux stations supplémentaires par ligne. Et ça commence assez rapidement, dès 1934, avec une première exten- sion de la ligne 9 vers Boulogne, bientôt suivie de la ligne 1 à Vincennes, de la 12 à Issy-les-Moulineaux, de la 3 à Levallois,de la 1 à Neuilly,de la 9 à Mon- treuil. En 1937, la toute nouvelle ligne 11, ouverte en 1935, gagne une station supplémentaire à Mairie des Lilas, première étape de son prolongement vers la place Carnot à Romainville.

Achèvement du plan initial en juin 2024
Malheureusement, ce bel élan est stoppé net par la guerre qui commence en septembre 1939. Deux extensions sont alors en cours pour les lignes 5 et 8, ouvertes en 1942. Deux autres sont effectuées au ralenti, la 7 à Ivry, ouverte en 1946, et la 13 à Saint- Denis, qui attendra 1952. Ensuite... plus rien ! Le plan de 1928 n’est plus une priorité, alors que les moyens sont tournés vers la reconstruction. Il faudra attendre 1970 pour que le programme des prolongements re- prenne timidement, totalement en dehors du schéma des années 20. Pourtant, au fil des années, certaines extensions imaginées auparavant sont finalement réalisées : la 7 à Aubervilliers en 1979, la 13 à Clichy en 1980, la 12 à Saint-Denis en 2012 et la 4 à Montrouge en 2013. Ne reste alors qu’un seul prolongement du plan initial qui n’a pas encore été construit, celui de la 11 à Romainville. Depuis le 13 juin, c’est enfin chose faite, avec une magnifique station Romainville-Carnot espérée depuis si longtemps par ses usagers.
Philippe-Enrico Attal, est journaliste et photographe pour les publications de La Vie du Rail et des éditions historiques Soteca. Il est spécialisé dans les questions de transport, d’histoire contemporaine et de société.Il a publié Histoire de la Construction du métro en 2017, Les Transports Parisiens (2018), Paris une capitale déserte (2022) chez Soteca Éditions. En septembre 2024, son ouvrage Le Grand Pari du Métro, écrit avec Julian Pépinster, est publié par La Vie du Rail en collaboration avec la RATP.

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